Jean-Claude André, associé fiscaliste Baker Tilly France, analyse les mesures et les projets gouvernementaux du point de vue de sa position de conseil d’entreprise.
Pour les particuliers, le durcissement de la fiscalité risque d’entraver la fluidité économique
La deuxième loi de finances rectificative pour 2012 durcit considérablement la taxation du patrimoine avec la contribution exceptionnelle sur la fortune qui remet en vigueur l’ancien barème, atteignant un prélèvement de 1,8 % sur les patrimoines les plus élevés.
Les quelques légers changements apportés par le projet de loi de finances ne modifient pas le dispositif.
Cette taxation peut entraîner, dans certains cas, des conséquences particulièrement douloureuses, compte tenu de la faiblesse de l’inflation et des rendements financiers.
On assiste également à un durcissement très fort des droits de mutation et de succession à titre gratuit. Les abattements sont réduits d’un tiers, de 150 000 à 100 000 euros, avec une durée, pour bénéficier à nouveau des abattements, portée de 10 à 15 ans ! Cette mesure risque d’avoir un effet contraire à celui espéré, puisque les donateurs potentiels vont avoir tendance à différer le transfert de leurs biens.
Or, les personnes âgées qui détiennent majoritairement les biens, sont tout sauf des investisseurs dynamiques. On prive ainsi la population active de ressources complémentaires et d’un réinvestissement direct dans l’économie du pays.
Les niches fiscales, créées par les gouvernements successifs dans le but d’orienter l’épargne et de doper l’économie, sont très fortement revues à la baisse. En 2011 les niches fiscales pouvaient atteindre 18 000 euros par foyer majoré de 4 % du revenu. Le nouveau régime envisagé serait une diminution du plafond à 10 000 euros toutes niches confondues hormis l’Outre-Mer, mais la déduction pour les gens de maison, et le régime « Duflot » inclus.
Le Gouvernement envisage la création d’une nouvelle tranche de 45 % pour l’impôt sur le revenu et l’instauration d’une surtaxe de 75 %.
Cette dernière pourrait avoir des effets dévastateurs psychologiquement, même si elle ne concernerait finalement plus que les revenus d’activité supérieurs à un million d’euros, et même si, avec la CSG intégrée dans ces 75 %, le taux effectif serait de 67 % et limité à deux ans.
Enfin, parmi les dispositions surprenantes, il faut noter l’abandon de l’exonération d’IR sur les heures supplémentaires, qui pénalise des salariés souvent majoritairement à faible pouvoir d’achat et vient faire baisser la consommation à un moment où il faudrait à minima la soutenir.
C’est ainsi qu’un smicard verra sur une année entière son pouvoir d’achat amputé d’environ 600 euros !
L’augmentation de la durée de détention de 15 à 30 ans pour être exonéré de plus-values immobilières, mise en place par le précédent Gouvernement en début d’année, va certainement bloquer le marché immobilier.
Le Gouvernement actuel aurait été bien avisé de revenir sur cette mesure. A la place, il envisage un abattement de 20 % pour fluidifier le marché immobilier, mais il est à craindre que cela ne suffise pas.
Pour faciliter la vente de terrains à bâtir, il serait prévu de supprimer les abattements pour durée de détention. En clair, le Gouvernement préfère le bâton à la carotte, et il n’est pas certain que ce soit plus efficace…
Le cumul de ces mesures risque fort de tenter un certain nombre de contribuables à se loger fiscalement sous d’autres cieux…
Pour les entreprises, certaines dispositions risquent d’être contre-productives
L’annulation de la TVA sociale est également difficilement compréhensible, alors que la France a besoin de plus de 30 milliards d’euros et qu’il faut rendre les entreprises compétitives.
C’était un moyen de pénaliser les importations, de diminuer le coût du travail et donc de favoriser les exportations. Les entreprises sont dans un tel environnement concurrentiel que chaque euro économisé participe à améliorer leur compétitivité.
Après cette décision dogmatique, le Gouvernement a indiqué que la hausse de la TVA ne serait plus taboue !
Autre mesure paradoxale : la taxation de l’intéressement puisque le forfait social est passé de 8 à 20 %. On reproche aux entreprises de ne pas reverser suffisamment à leurs salariés, or on pénalise celles qui ont mis en place des plans d’intéressement, et à nouveau les salariés par la même occasion.
Enfin, le Gouvernement prévoit, sans le dire, tout en le faisant…. le retour du bouclier fiscal. En effet, il y a de grandes chances pour que le Conseil constitutionnel invalide la loi instaurant la taxe de 75 %. Pour éviter ce camouflet, le Gouvernement n’a d’autre choix que de rétablir le fameux bouclier fiscal, tant décrié, et qui plafonnerait la taxation à …75 % des revenus. A un tel niveau, la fiscalité devient confiscatoire.
Ce sont les grandes entreprises qui sont le plus pénalisées. Les PME, quant à elles, sont effectivement relativement épargnées. Par exemple, le dispositif loi Tepa ISF PME serait maintenu, permettant aux particuliers de continuer à déduire à hauteur de 50 % les sommes investies dans les PME.
Par contre, les chefs d’entreprise cédants risquent de se retrouver avec une fiscalité confiscatoire ; les plus-values seraient taxées à l’IR soit une tranche maximum de 45 %, plus 15,50 % de CSG, soit plus de 60 %, sans revaloriser le prix d’acquisition initial.
Pour la très grande majorité des Français, le véritable enjeu est la réduction des dépenses de l’État. Sans mesures réellement efficaces, il est à craindre qu’à la fin 2013, les prélèvements obligatoires dépassent les 50 % en France, alors que la moyenne dans les pays de l’OCDE est de 36 %. Il y a certainement des efforts à faire de ce côté-là…
En conclusion, les entreprises et leurs conseils attendent avec beaucoup d’intérêt l’inventaire relatif à la compétitivité demandé au commissaire général à l’investissement, Louis Gallois, qui doit être remis au président de la République mi-octobre.
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