L’accessibilité numérique s’impose aujourd’hui comme un défi majeur pour toutes les organisations. Longtemps perçue comme une contrainte technique réservée aux sites institutionnels ou aux grandes entreprises, elle devient désormais un obligatoire légal et un levier stratégique incontournable. L’entrée en vigueur de la directive européenne European Accessibility Act (EAA) le 28 juin 2025 a marqué une étape décisive : Depuis cette date, tout service numérique destiné au marché européen doit respecter des standards précis, sous peine de sanctions.
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Pour les dirigeants de TPE et PME, les responsables e-commerce, les consultants ou les directeurs marketing, il ne s’agit pas seulement de cocher une case réglementaire. L’accessibilité numérique représente une opportunité unique d’élargir son marché, d’améliorer son image et de proposer une expérience utilisateur réellement universelle.
Un cadre légal européen et français strict
La directive européenne de 2019 sur l’accessibilité des produits et services numériques a été transposée dans le droit français par l’ordonnance du 6 septembre 2023 et précisée par le décret du 9 octobre 2023. Ce cadre impose que l’ensemble des produits et services numériques accessibles au grand public respectent des critères d’accessibilité définis par la norme européenne EN 301 549, elle-même basée sur les recommandations internationales WCAG 2.1 du W3C.
Concrètement, les entreprises réalisant plus de 2 millions d’euros de chiffre d’affaires et proposant des services numériques devront publier une déclaration d’accessibilité détaillant la conformité de leurs services, signaler les éventuelles non-conformités et mettre en place un mécanisme permettant aux utilisateurs de remonter des difficultés.
En France, cette évolution s’inscrit dans la continuité de la loi du 11 février 2005 dite « Loi Handicap », qui avait déjà rendu obligatoire l’accessibilité des établissements recevant du public. Désormais, l’exigence s’étend au domaine numérique, avec la même logique d’inclusion et d’équité.
Pourquoi l’accessibilité numérique est un enjeu stratégique ?
Loin de se réduire à une contrainte réglementaire, l’accessibilité numérique ouvre des perspectives importantes. Elle répond d’abord à un impératif sociétal : permettre aux personnes en situation de handicap — visuel, auditif, moteur ou cognitif — d’accéder aux mêmes services que l’ensemble de la population. Mais son champ dépasse largement ce public.
Dans les faits, une interface accessible profite à tous. Un site clair, bien structuré, lisible et navigable au clavier améliore aussi l’expérience des seniors, des utilisateurs de terminaux mobiles ou de ceux qui consultent depuis des environnements peu favorables (lumière forte, réseau instable, absence de souris, etc.).
D’un point de vue stratégique, une telle démarche constitue également un levier marketing et commercial puissant. L’accessibilité numérique permet d’élargir la base clients, d’améliorer le référencement naturel grâce à des contenus mieux structurés, et de renforcer l’image de marque à travers un positionnement inclusif et responsable. Dans un contexte où la Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE) prend une place croissante dans les décisions des consommateurs et partenaires, afficher un engagement concret en matière d’accessibilité devient un argument différenciateur fort.
Les normes de référence : WCAG, RGAA et EN 301 549
Pour être considérée comme accessible, une solution numérique doit répondre à des critères strictement définis. Les WCAG 2.1 (Web Content Accessibility Guidelines), édictées par le W3C, constituent la référence mondiale. Elles reposent sur quatre grands principes : les contenus doivent être perceptibles, c’est-à-dire détectables par tous les sens ; opérables, pour que la navigation soit possible sans souris ; compréhensibles, grâce à une structure logique et des instructions claires ; et enfin robustes, en restant compatibles avec les technologies d’assistance comme les lecteurs d’écran.
En France, ces critères sont traduits dans le Référentiel Général d’Amélioration de l’Accessibilité (RGAA), qui comporte plus d’une centaine de critères testables. Les entreprises doivent viser au minimum le niveau de conformité AA, considéré comme le standard réglementaire.
La norme EN 301 549, adoptée au niveau européen, harmonise ces obligations pour l’ensemble des États membres et fixe la base technique de la conformité. Elle englobe non seulement les sites web et applications mobiles, mais également des équipements physiques tels que distributeurs automatiques, liseuses ou consoles.
Une situation actuelle préoccupante
Malgré la montée en puissance des réglementations, l’état actuel de l’accessibilité numérique en Europe reste préoccupant. Selon plusieurs études, seuls 5 % à 25 % des sites e‑commerce sont véritablement utilisables par les personnes en situation de handicap. Cette proportion montre l’ampleur du retard accumulé et la nécessité d’un effort collectif massif dans les mois qui viennent.
L’échéance du 28 juin 2025 a donc constitué une véritable ligne de crête. Les organisations doivent agir pour mettre leurs services en conformité. Ne pas le faire reviendrait à prendre le risque de sanctions, mais aussi de dégrader durablement leur image de marque et leur compétitivité.
Comment réussir sa mise en conformité ?
La réussite d’un projet d’accessibilité numérique repose sur une démarche structurée et progressive. La première étape consiste à réaliser un audit complet de l’existant. Il s’agit de mesurer le niveau de conformité actuel, d’identifier les écarts et de hiérarchiser les priorités. Cet audit doit combiner des outils automatiques de détection et des tests réels menés avec des utilisateurs en situation de handicap.
Une fois le diagnostic établi, l’entreprise doit élaborer une feuille de route claire, avec des objectifs à court, moyen et long terme. Certaines corrections, comme l’ajout de textes alternatifs aux images ou l’amélioration des contrastes, peuvent être mises en œuvre rapidement. D’autres, comme la refonte de la structure HTML ou la mise en accessibilité des documents PDF, nécessiteront un travail plus conséquent.
La phase de conception joue également un rôle essentiel. Intégrer les bonnes pratiques d’accessibilité dès la conception des interfaces permet d’éviter des coûts de correction ultérieurs. Cela passe par des chartes graphiques adaptées, des maquettes pensées pour tous les profils d’utilisateurs, et une vigilance particulière sur la hiérarchie des contenus et la navigation.
La mise en œuvre technique doit ensuite être accompagnée d’un suivi rigoureux : tests réguliers, intégration continue des normes WCAG, validation auprès de technologies d’assistance. Enfin, l’entreprise doit publier sa déclaration d’accessibilité, document obligatoire qui informe les utilisateurs du niveau de conformité atteint et des solutions mises en place pour pallier les éventuelles limites.

Les bénéfices tangibles pour les entreprises
Les entreprises qui se sont engagées dans une démarche proactive d’accessibilité en ont rapidement retiré des bénéfices concrets. Du point de vue de l’expérience utilisateur, la navigation devient plus fluide, les taux de rebond diminuent et la satisfaction client augmente.
L’accessibilité a également un impact direct sur le référencement naturel (SEO) : un site structuré, lisible et sémantiquement cohérent est mieux compris par les moteurs de recherche, ce qui favorise sa visibilité.
Sur le plan commercial, l’élargissement de la base de clientèle est immédiat. En rendant leurs services accessibles, les entreprises touchent non seulement les personnes handicapées, mais aussi les seniors, les utilisateurs en mobilité ou ceux confrontés à des limitations temporaires.
Enfin, l’image de marque est renforcée. L’accessibilité devient un marqueur fort d’engagement et de responsabilité sociétale. Dans un contexte où les consommateurs privilégient les entreprises responsables, ce positionnement peut constituer un avantage compétitif décisif.
L’accessibilité numérique à l’ère de l’intelligence artificielle
L’avenir de l’accessibilité numérique s’inscrit désormais dans un contexte technologique en pleine mutation. L’essor de l’IA générative ouvre de nouvelles perspectives, notamment en matière de reconnaissance vocale, de transcription automatique ou d’assistance cognitive. Les interfaces vocales, la réalité augmentée et les outils d’automatisation offrent des leviers inédits pour faciliter l’accès à l’information et aux services.
Cependant, ces innovations ne remplaceront pas les fondamentaux : un site mal conçu restera inaccessible, même avec les meilleures technologies. L’accessibilité doit donc être pensée comme un principe de conception universelle, intégré dès la phase de design et maintenu tout au long du cycle de vie des services numériques.
Agir dès maintenant
L’accessibilité numérique n’est plus une option. Depuis l’échéance du 28 juin 2025, elle est devenue un impératif légal et un levier stratégique incontournable. Les entreprises ont tout intérêt à se mettre en conformité dès aujourd’hui pour transformer cette contrainte apparente en opportunité réelle.
Un site accessible, c’est un site plus performant, mieux référencé, plus inclusif et plus crédible. C’est aussi un signe clair d’engagement en faveur d’une société numérique plus équitable.
La clé du succès réside dans une démarche structurée : audit initial, plan d’action progressif, conception inclusive, suivi continu et communication transparente. Les entreprises qui auront su prendre ce virage à temps ne se contenteront pas d’éviter des sanctions : elles en ressortiront renforcées, plus compétitives et mieux armées pour affronter l’avenir numérique.
Comment se faire aider pour réussir sa mise en conformité ?
La mise aux normes d’un site e‑commerce ou d’une application mobile peut représenter un chantier d’ampleur variable selon la taille de l’entreprise, la complexité technique de la plateforme et l’historique des développements. Conscients de ces enjeux, l’État et plusieurs organismes publics ont mis en place des outils et des aides financières pour accompagner les structures dans cette transition.
Un premier levier est l’outil gratuit ARA (Assistant RGAA Automatisé), mis à disposition en ligne. Cet outil permet d’effectuer des audits rapides sur l’accessibilité des sites et services numériques. Même si ses résultats doivent être complétés par des tests manuels, il constitue une base précieuse pour identifier les non-conformités et hiérarchiser les priorités.
Par ailleurs, des dispositifs d’aides financières existent. Bpifrance, France Num et les conseils régionaux peuvent couvrir une part significative des dépenses liées à la mise aux normes, parfois jusqu’à 50 à 80 % des coûts pour les PME. Ces aides visent à réduire la barrière financière et encourager les entreprises à engager rapidement la démarche.
Le Fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique (FIPHFP) propose également un accompagnement spécifique. Destiné aux organismes publics et aux entreprises privées délégataires d’une mission d’intérêt général, ce fonds permet de financer une partie des investissements nécessaires pour rendre les services accessibles.
Enfin, la Direction interministérielle du numérique (DINUM) publie et maintient le Référentiel Général d’Amélioration de l’Accessibilité (RGAA v4). Ce référentiel constitue un guide technique indispensable, traduisant les principes internationaux WCAG en critères testables adaptés au contexte français.
Ainsi, loin de devoir avancer seuls, les dirigeants et responsables numériques peuvent s’appuyer sur un écosystème d’outils et de financements pour mener à bien leur mise en conformité.

Quelles sanctions en cas de non-conformité ?
La directive européenne ne se contente pas d’énoncer des obligations : elle prévoit également des sanctions claires pour garantir leur respect. En France, la surveillance sera placée sous l’autorité de l’Arcom (Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique).
Les sanctions suivront une logique progressive. Dans un premier temps, des rappels à l’ordre pourront être adressés aux entreprises non conformes. Mais en cas de manquement persistant, l’Arcom sera en mesure d’infliger des amendes pouvant aller jusqu’à 25 000 € par infraction et par site, avec un caractère renouvelable tous les six mois tant que la mise en conformité n’est pas réalisée.
Ces sanctions, cumulées à l’impact réputationnel d’un manquement avéré en matière d’inclusion, doivent être prises très au sérieux par les dirigeants. Elles constituent une incitation forte à ne pas repousser les démarches et à engager dès maintenant un plan de mise aux normes.
Quels délais et exemptions sont prévus ?
La directive européenne intègre des dispositions transitoires pour permettre aux entreprises de s’adapter progressivement. Les contrats existants pourront ainsi continuer à s’appliquer pendant une période de cinq ans après l’entrée en vigueur de la directive.
Certains équipements physiques, comme les guichets bancaires ou les bornes de billets de transport, déjà installés avant juin 2025, pourront être utilisés jusqu’à la fin de leur durée de vie, avec une limite fixée à quinze ans après leur mise en service.
Par ailleurs, des délais spécifiques pourront être accordés aux entreprises qui en font la demande, selon la complexité des travaux de mise en accessibilité à réaliser.
Enfin, la directive prévoit des exemptions pour les petites entreprises dans deux cas : lorsque la nature des produits ou services rend l’accessibilité impossible, ou lorsque le coût de mise en conformité est jugé disproportionné par rapport aux ressources et au chiffre d’affaires de l’entreprise.
Ces assouplissements ne doivent toutefois pas être vus comme un prétexte à l’inaction. Même lorsqu’elles bénéficient d’exemptions partielles, les entreprises ont tout intérêt à intégrer l’accessibilité dans leur stratégie numérique, ne serait-ce que pour rester compétitives et répondre aux attentes croissantes des clients.
Podcast : Handicap & accessibilité numérique : la loi est déjà en vigueur, êtes-vous en conformité ?
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