Comment protéger son entreprise des faux courriers administratifs ?
Quand on crée son entreprise, les premières démarches administratives sont souvent source de stress, d’incertitudes et parfois… de mauvaises surprises. Depuis plusieurs mois, de nombreux entrepreneurs en France reçoivent un courrier au ton officiel leur réclamant une somme comprise entre 90 et 100 euros pour finaliser leur inscription au répertoire SIRENE. Le document, habilement maquillé pour ressembler à une correspondance institutionnelle, mentionne des références administratives, des délais de paiement et laisse croire qu’il s’agit d’une formalité obligatoire. En réalité, il s’agit d’une escroquerie parfaitement orchestrée, exploitant la méconnaissance des créateurs d’entreprise et leur vulnérabilité face à des démarches souvent jugées complexes.
Le phénomène est suffisamment préoccupant pour que l’État ait décidé de tirer la sonnette d’alarme. Dans un communiqué publié en mai 2025, le portail officiel Entreprendre.Service-Public.fr rappelle avec force que l’inscription au répertoire SIRENE, géré par l’INSEE, est entièrement gratuite et qu’aucun courrier papier n’est envoyé aux entreprises pour confirmer cette immatriculation. Autrement dit, tout paiement demandé relève d’une tentative d’arnaque.
Cette fraude n’est pas anodine. Derrière le préjudice financier immédiat – certes limité à quelques dizaines d’euros par victime – se cache une réalité plus large : celle d’un climat de défiance grandissant à l’égard des démarches administratives. Pour les TPE, les micro-entrepreneurs et les indépendants, chaque dépense injustifiée peut représenter un poids supplémentaire dans un quotidien déjà marqué par la recherche de financements, le développement commercial et la gestion de charges fixes. Ces courriers frauduleux ajoutent une couche de complexité et de méfiance dans un environnement qui devrait au contraire inspirer confiance et clarté.
Cet article propose de revenir en détail sur ce scam lié au répertoire SIRENE, d’en décrypter les mécanismes, d’en mesurer les impacts, et surtout de donner aux entrepreneurs des clés pratiques pour s’en prémunir. Car derrière cette affaire se joue un enjeu majeur : la protection des jeunes entreprises et la préservation d’un climat de confiance indispensable à l’initiative économique.
Décryptage du scam : comment les fraudeurs piègent les entrepreneurs
À première vue, le courrier reçu par de nombreux entrepreneurs ressemble à s’y méprendre à une correspondance officielle. Le papier est soigné, parfois estampillé de logos qui imitent ceux d’organismes publics, et le vocabulaire choisi joue habilement sur l’ambiguïté administrative. On y lit des termes tels que « confirmation d’inscription », « obligation légale », « délai de paiement » ou encore « frais d’enregistrement », autant de formulations qui semblent aller de soi dans l’esprit de celui qui vient de créer son activité.
Un mode opératoire bien rôdé
Le stratagème suit un scénario classique. L’entrepreneur, quelques jours après avoir déclaré la création de son entreprise (auto-entreprise, société ou association), reçoit ce courrier. Celui-ci lui indique qu’il doit verser une somme comprise entre 90 et 100 euros afin de « finaliser son inscription » au répertoire SIRENE. Le courrier insiste sur un délai de règlement très court, créant une impression d’urgence et laissant entendre qu’un défaut de paiement pourrait entraîner des complications administratives, voire la non-reconnaissance de l’activité.
L’efficacité de l’arnaque repose sur deux éléments psychologiques simples :
- L’effet de nouveauté : au moment de la création, l’entrepreneur découvre un univers administratif complexe. Il n’a pas encore les repères nécessaires pour distinguer un vrai courrier d’un faux.
- L’effet de pression : l’exigence d’un paiement rapide déclenche un réflexe de conformité (« je paie vite pour ne pas avoir de problème »), surtout quand les montants demandés paraissent modestes.
Pourquoi ça marche ?
Ce type de fraude exploite une méconnaissance fondamentale : l’inscription au répertoire SIRENE est gratuite et automatique. Lorsqu’une entreprise se crée en France, l’INSEE procède d’office à son immatriculation et attribue un numéro SIREN et des numéros SIRET. Aucun courrier de facturation n’est émis.
Or, cette information, bien que disponible sur les sites officiels, n’est pas toujours connue du grand public. Beaucoup d’entrepreneurs débutants pensent qu’il est normal de devoir régler des frais d’enregistrement, d’autant que d’autres démarches (Kbis, dépôt de capital, publication d’annonce légale) impliquent effectivement des frais réels. Les fraudeurs jouent donc sur ce flou pour insérer leur propre facture fictive dans le processus.
Un scénario répété depuis des années
Ce n’est pas la première fois que ce type d’arnaque sévit. Depuis plus de dix ans, les chambres consulaires et les fédérations professionnelles alertent régulièrement sur des « faux registres » ou « fausses obligations » :
- inscriptions frauduleuses à de prétendus « registres européens » des sociétés,
- factures fictives pour figurer sur des annuaires en ligne,
- courriers trompeurs au sujet de la TVA intracommunautaire,
- fausses relances liées à la propriété intellectuelle ou aux marques.
Chaque fois, la mécanique est la même : profiter de l’opacité perçue du système administratif pour soutirer quelques centaines d’euros à des milliers de victimes. Si le gain unitaire reste modeste, la multiplication des envois rend l’opération très lucrative pour les escrocs.
Une vulnérabilité ciblée : les micro-entrepreneurs et TPE
Les jeunes entreprises sont particulièrement exposées. Les auto-entrepreneurs, souvent seuls aux commandes, n’ont pas toujours le temps ni les moyens de vérifier l’authenticité de chaque courrier. Une facture de 95 euros peut sembler banale et passer inaperçue dans les premières dépenses. De plus, la peur d’une « radiation » ou d’une « non-inscription » peut inciter à payer sans discuter.
C’est précisément cette fragilité qui fait le succès de l’arnaque. Les fraudeurs savent que leurs chances de poursuites sont faibles : beaucoup de victimes, peu de dépôts de plainte, des montants trop faibles pour mobiliser la justice à grande échelle.
Un climat de défiance
Au-delà du préjudice financier, ce scam participe à un phénomène plus inquiétant : la montée de la méfiance vis-à-vis des démarches administratives. Chaque courrier suspect ou douteux renforce l’idée que les formalités sont un terrain miné où l’entrepreneur risque de se faire piéger. À long terme, cette défiance peut décourager certaines initiatives ou compliquer la relation entre l’État et les créateurs d’entreprise.
Les enjeux pour les entreprises : bien plus qu’une perte d’argent
À première vue, le scam lié au répertoire SIRENE pourrait sembler anodin. Après tout, la somme demandée – entre 90 et 100 euros – ne paraît pas insurmontable pour une entreprise. Pourtant, réduire cette fraude à un simple préjudice financier serait une erreur. Ses conséquences vont bien au-delà de la perte immédiate, touchant la confiance, le temps et parfois même la pérennité de l’activité.
Un impact financier sous-estimé
Certes, une centaine d’euros n’est pas comparable à un redressement fiscal ou à une amende pénale. Mais pour un auto-entrepreneur qui démarre avec des moyens limités, chaque dépense compte. Une arnaque de ce type, surtout si elle est répétée ou cumulée avec d’autres frais cachés, peut peser lourdement sur une trésorerie fragile.
Beaucoup de créateurs d’entreprise investissent déjà leurs économies dans des frais incontournables : immatriculation au registre du commerce, publication d’annonces légales, dépôt de marques, outils de gestion, assurance, matériel… Dans ce contexte, une dépense injustifiée devient un fardeau supplémentaire. Elle peut aussi avoir un effet domino : si le paiement se fait par prélèvement bancaire ou carte, les fraudeurs disposent parfois d’informations sensibles qu’ils peuvent réutiliser pour d’autres tentatives.
Une perte de temps et d’énergie précieuse
Au-delà de l’argent, c’est surtout le temps perdu qui pénalise les entrepreneurs. Recevoir un courrier suspect implique souvent de :
- vérifier sa légitimité,
- contacter des administrations (INSEE, greffe, centre de formalités),
- éventuellement contester ou porter plainte.
Autant de démarches chronophages qui détournent l’entrepreneur de l’essentiel : développer son activité, trouver ses premiers clients, stabiliser son modèle économique. Pour les indépendants, chaque heure compte. Chaque distraction bureaucratique peut retarder des échéances cruciales comme la signature d’un contrat ou le lancement d’un produit.
Un climat de méfiance délétère
Mais l’enjeu principal est ailleurs : il réside dans la relation de confiance entre les entreprises et l’administration. Lorsqu’un créateur d’entreprise se fait piéger par un courrier frauduleux, il peut en ressortir avec une impression de défiance généralisée. Tout document administratif devient suspect.
À force, certains entrepreneurs finissent par ignorer de véritables correspondances officielles, craignant une nouvelle escroquerie. Ce phénomène de désensibilisation administrative peut avoir des conséquences dramatiques : une convocation ignorée, une déclaration fiscale non déposée, une relance légale mise de côté. Dans certains cas, cela conduit à des pénalités réelles bien plus coûteuses que l’arnaque initiale.
Des effets psychologiques non négligeables
Créer son entreprise est déjà un parcours semé d’embûches, où l’incertitude et la pression financière génèrent un stress important. Découvrir qu’on a payé une fausse facture ou avoir constamment peur de se faire piéger accentue ce sentiment d’insécurité. Certains entrepreneurs témoignent d’une perte de confiance en eux-mêmes : « Si je me suis fait avoir dès le départ, suis-je vraiment capable de gérer une entreprise ? ».
Ce doute peut miner la motivation, surtout chez les porteurs de projet les plus fragiles psychologiquement. Pour des profils en reconversion ou en sortie de chômage, chaque échec – même symbolique – peut peser sur la persévérance.
Un enjeu collectif : la réputation de l’écosystème entrepreneurial
Enfin, au niveau macro-économique, ces arnaques en série nuisent à l’image de l’écosystème entrepreneurial français. Si les créateurs associent leur expérience initiale à des démarches piégeuses, cela peut décourager la dynamique de création d’entreprise. Or, la France enregistre chaque année plus d’un million de créations, moteur essentiel de l’innovation et de l’emploi.
Un climat où les jeunes entrepreneurs se sentent menacés ou dupés fragilise la compétitivité globale du pays. La confiance dans les institutions, déjà mise à mal dans d’autres domaines, se trouve encore affaiblie.
Réactions officielles et cadre réglementaire : l’État monte au créneau
Face à la multiplication de ces courriers frauduleux, les autorités françaises n’ont pas tardé à réagir. Dès le printemps 2025, la Direction de l’information légale et administrative (DILA), qui pilote le portail officiel Entreprendre.Service-Public.fr, a publié un communiqué d’alerte. L’objectif était clair : rappeler aux entrepreneurs que l’inscription au répertoire SIRENE est totalement gratuite et que l’INSEE n’envoie jamais de courrier papier pour réclamer un paiement.
Le rôle de l’INSEE et du répertoire SIRENE
Pour comprendre l’enjeu, il faut revenir sur ce qu’est le répertoire SIRENE. Créé en 1973 et géré par l’INSEE, il constitue la base de données nationale qui recense toutes les entreprises et établissements en France. Chaque entité y reçoit :
- un numéro SIREN (9 chiffres), identifiant unique de l’entreprise,
- un ou plusieurs numéros SIRET (14 chiffres), correspondant à chaque établissement,
- un code APE, décrivant l’activité principale exercée.
Ces identifiants sont indispensables pour exister juridiquement et administrativement. Ils sont délivrés automatiquement après l’immatriculation de l’entreprise (au registre du commerce, au répertoire des métiers ou via le guichet unique).
Ce caractère automatique et gratuit constitue le cœur de la communication officielle : aucune action complémentaire, encore moins un paiement, n’est exigée de la part de l’entrepreneur pour figurer dans SIRENE.
Les rappels de l’État : vigilance et pédagogie
Dans son alerte de mai 2025, l’État a insisté sur plusieurs points essentiels :
- Aucun courrier officiel n’est envoyé pour confirmer l’inscription au SIRENE.
- Aucune facture ne peut être exigée pour ce service.
En cas de doute, les entreprises doivent consulter directement le site officiel ou contacter l’INSEE.
Cette pédagogie est primordiale car les arnaques exploitent précisément la méconnaissance des démarches. En rappelant systématiquement la gratuité de l’inscription et en insistant sur les canaux de communication officiels, l’État cherche à rétablir un climat de confiance.
La DGCCRF en soutien
La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a également été sollicitée. Sa mission consiste à traquer et sanctionner les pratiques commerciales trompeuses. Elle invite les entrepreneurs victimes ou témoins de courriers frauduleux à déposer un signalement sur la plateforme SignalConso, qui permet d’alerter directement les services compétents.
En multipliant les signalements, les autorités peuvent identifier les réseaux frauduleux, analyser leurs méthodes et, dans certains cas, engager des poursuites. Certes, les arnaques sont souvent difficiles à éradiquer – les fraudeurs utilisant des adresses postales ou des comptes bancaires éphémères – mais la multiplication des alertes contribue à réduire leur efficacité.
Le rôle du portail Entreprendre.Service-Public.fr
Lancé en 2022, le portail Entreprendre.Service-Public.fr a pour mission de centraliser toutes les informations administratives destinées aux créateurs et dirigeants d’entreprise. Il fonctionne comme un guichet numérique unique, offrant :
- des guides pratiques,
- des simulateurs,
- des formulaires officiels,
- des alertes régulières sur les arnaques en cours.
Dans le cas du scam SIRENE, la publication d’une alerte spécifique illustre l’utilité de ce portail : il devient la référence incontournable pour distinguer l’information officielle des tentatives de fraude.
Une volonté de simplification pour couper l’herbe sous le pied aux fraudeurs
Au-delà de la réaction immédiate, l’État inscrit cette lutte contre les arnaques dans une dynamique plus large de simplification administrative. Plus les démarches sont centralisées, claires et accessibles, moins les fraudeurs trouvent d’interstices pour insérer leurs courriers trompeurs.
Le projet du guichet unique électronique lancé par l’INPI en 2023, malgré ses difficultés initiales, participe de cette logique : limiter la dispersion des interlocuteurs et offrir une expérience unifiée. Si chaque entrepreneur sait qu’une seule plateforme concentre l’ensemble des formalités légales, il devient beaucoup plus difficile pour les escrocs de se faire passer pour une autorité parallèle.

Conseils pratiques pour les entrepreneurs : comment réagir et se protéger
Si les arnaques liées au répertoire SIRENE se multiplient, il existe heureusement des réflexes simples qui permettent de s’en prémunir. L’enjeu n’est pas seulement d’éviter de perdre une centaine d’euros, mais surtout de sécuriser son rapport aux démarches administratives et de ne pas tomber dans un cycle de méfiance permanente.
1. Reconnaître les signaux d’alerte
La première protection reste la vigilance. Certains indices permettent d’identifier rapidement un courrier frauduleux :
- Une demande de paiement pour un service censé être gratuit (comme l’inscription au SIRENE).
- Un sentiment d’urgence : délais très courts, menaces de radiation ou de pénalités.
- Une absence de références claires : pas de numéro officiel de l’INSEE, adresse postale vague ou boîte postale.
- Des coordonnées suspectes : numéros surtaxés ou adresses e-mail génériques (type @gmail.com ou @outlook.com).
Dès qu’un de ces signaux apparaît, la prudence s’impose.
2. Ne jamais payer sans vérifier
La règle d’or est simple : ne jamais régler un paiement administratif sans avoir vérifié son authenticité. Pour cela, plusieurs options existent :
- Se rendre sur entreprendre.service-public.fr, le portail officiel de référence.
- Vérifier sur le site de l’INSEE si l’inscription SIRENE a bien été enregistrée (consultable gratuitement).
- Contacter directement son CFE (Centre de formalités des entreprises) ou son expert-comptable pour confirmation.
- En cas de doute, il vaut toujours mieux prendre cinq minutes pour vérifier plutôt que de céder à la pression.
3. Signaler l’arnaque
Lorsqu’un courrier frauduleux est identifié, il ne faut pas le jeter immédiatement. Plusieurs démarches sont utiles :
- Faire un signalement sur la plateforme SignalConso, qui centralise les alertes auprès de la DGCCRF.
- Transmettre une copie du courrier à l’INSEE pour information.
- Prévenir son entourage professionnel (associations d’entrepreneurs, réseaux locaux) afin que d’autres ne tombent pas dans le piège.
Ces signalements ont une utilité collective : plus les autorités sont alertées, plus elles disposent de moyens pour identifier les circuits financiers ou postaux utilisés par les fraudeurs.
4. Former et sensibiliser ses équipes
Dans une PME un peu plus structurée, les courriers administratifs ne passent pas toujours directement par le dirigeant. Un comptable, une assistante administrative ou un collaborateur peuvent être les premiers à ouvrir l’enveloppe. Il est donc essentiel de sensibiliser tous les acteurs de l’entreprise à la réalité de ces scams.
Une note interne ou une réunion rapide peut suffire à rappeler :
- que l’inscription au SIRENE est gratuite,
- que tout courrier demandant un paiement doit être validé par la direction avant traitement,
- que les vérifications doivent être faites via les canaux officiels.
5. Anticiper avec une culture de la prévention
Enfin, la meilleure défense reste la construction d’une culture de prévention. Cela passe par :
- L’abonnement aux lettres officielles (comme Bercy Infos Entreprises), qui relaient régulièrement les alertes en cours.
- L’usage systématique du portail officiel pour toute formalité : un seul réflexe, un seul site de référence.
- L’accompagnement par un professionnel de confiance (expert-comptable, avocat d’affaires), qui peut valider la légitimité des documents reçus.
Un enjeu de maturité entrepreneuriale
Apprendre à identifier une arnaque fait désormais partie des compétences de base de tout entrepreneur, au même titre que la gestion de trésorerie ou la prospection commerciale. Cette vigilance contribue à renforcer la maturité de l’écosystème entrepreneurial français.
Il ne s’agit pas de céder à la paranoïa, mais d’adopter une prudence raisonnée : se fier aux canaux officiels, partager l’information avec ses pairs, et considérer tout courrier administratif comme suspect tant qu’il n’est pas confirmé.
En somme, l’arnaque SIRENE illustre une règle universelle dans les affaires : ce qui paraît trop urgent, trop flou ou trop payant pour être vrai… est probablement faux.
Contexte plus large : un phénomène récurrent d’escroqueries administratives
L’arnaque au répertoire SIRENE n’est pas un cas isolé. Elle s’inscrit dans une série de pratiques frauduleuses qui visent les entreprises depuis des années, profitant des zones d’ombre et de la complexité du droit des affaires. En réalité, les créateurs d’entreprise font partie des cibles privilégiées des escrocs, précisément parce qu’ils sont fragiles, pressés par leurs démarches et rarement experts des rouages administratifs.
Faux registres et annuaires bidons
L’une des escroqueries les plus anciennes concerne les prétendus « registres européens des sociétés » ou des annuaires professionnels fictifs. Le mécanisme est simple : l’entreprise reçoit un formulaire lui demandant de « mettre à jour ses coordonnées » pour figurer dans un registre officiel. En signant, le dirigeant accepte en réalité, sans le savoir, un abonnement annuel de plusieurs centaines d’euros pour un annuaire inutile et dépourvu de toute visibilité.
Ces pratiques, souvent orchestrées depuis l’étranger, sont difficiles à sanctionner. Pourtant, elles perdurent et continuent de piéger de jeunes entrepreneurs qui veulent « être visibles » et pensent répondre à une obligation légale.
Escroqueries liées à la TVA intracommunautaire
Autre classique : la fausse inscription à la TVA intracommunautaire. L’entreprise reçoit un courrier lui demandant de payer des frais pour obtenir un numéro de TVA, alors que celui-ci est attribué gratuitement par l’administration fiscale lors de l’immatriculation. Là encore, l’ambiguïté entre ce qui relève du gratuit et du payant ouvre un boulevard aux fraudeurs.
Propriété intellectuelle et marques : un terrain fertile
Le dépôt de marque et la protection intellectuelle sont également des terrains propices aux abus. Les entreprises reçoivent de fausses factures prétendument émises par l’INPI (Institut national de la propriété industrielle) ou par de prétendus « registres internationaux » de marques. Là encore, la confusion fonctionne, car le dirigeant a bien conscience que la protection de sa marque est essentielle et suppose parfois des frais.
Certaines sociétés frauduleuses vont plus loin en proposant des services inutiles, comme l’inscription dans des bases de données fantaisistes ou l’édition de certificats pseudo-officiels.
La facture électronique, prochain terrain de jeu des escrocs ?
Avec l’arrivée progressive de la facturation électronique obligatoire d’ici 2026, de nombreux experts craignent une nouvelle vague d’escroqueries. Déjà, des entreprises témoignent avoir reçu des courriels leur proposant des « frais d’activation » ou des « abonnements obligatoires » pour être conformes au futur système. Or, comme pour SIRENE, les services de base seront fournis gratuitement par l’administration, et tout paiement devra passer par des prestataires agréés et identifiés.
Un phénomène qui fragilise l’écosystème entrepreneurial
Pris isolément, ces scams peuvent sembler anecdotiques. Mais leur répétition génère un climat délétère :
Accumulation des pertes : même modestes, elles finissent par peser sur les trésoreries.
Érosion de la confiance : les entrepreneurs ne savent plus distinguer l’authentique de la fraude.
Image ternie : la France peut apparaître comme un pays où « tout est piégé » au moment de créer son activité, ce qui décourage certaines vocations.
Une nécessité : renforcer la culture numérique et administrative
Ces dérives posent une question de fond : comment mieux armer les entrepreneurs pour éviter ces pièges ? Plusieurs pistes émergent :
- Former dès le départ les créateurs d’entreprise aux escroqueries courantes, via des modules intégrés aux formations des chambres consulaires.
- Renforcer la communication proactive de l’État, en multipliant les alertes officielles sur les réseaux sociaux et dans les médias économiques.
- Développer une culture numérique : vérifier systématiquement les sources, adopter des réflexes de cybersécurité, croiser les informations.
À terme, c’est une véritable pédagogie administrative qui doit être construite. Car l’ennemi principal des escrocs n’est pas seulement la répression : c’est l’information et la vigilance collective.
Vigilance et confiance, un équilibre à préserver
L’arnaque au répertoire SIRENE n’est pas seulement un piège administratif de plus : elle est révélatrice d’un problème plus large, celui de la vulnérabilité des entreprises face à la complexité et à la densité des démarches officielles. En exploitant la méconnaissance des jeunes entrepreneurs, les fraudeurs détournent à leur profit la confiance que tout citoyen devrait pouvoir placer dans ses institutions.
À travers ce cas, un enseignement s’impose : la vigilance doit devenir une compétence entrepreneuriale à part entière. Savoir identifier un courrier frauduleux, vérifier une information, signaler une arnaque… ces gestes simples sont désormais aussi indispensables que la gestion d’un budget ou la rédaction d’un business plan.
Mais la responsabilité ne repose pas uniquement sur les épaules des créateurs d’entreprise. Les pouvoirs publics ont un rôle déterminant à jouer, en rendant leurs communications plus accessibles, en multipliant les alertes, et en simplifiant les démarches pour réduire les zones de flou dont se nourrissent les escrocs. Dans ce sens, le portail Entreprendre.Service-Public.fr incarne un progrès réel : un guichet unique où les dirigeants peuvent trouver des informations fiables, à jour, et gratuites.
À l’échelle collective, la lutte contre ces arnaques passe aussi par la diffusion d’une culture de la prévention. Les réseaux professionnels, les experts-comptables, les incubateurs et les chambres consulaires ont un rôle clé pour relayer les bonnes pratiques, partager les alertes et éviter que l’information ne se perde en chemin. Un entrepreneur averti, c’est une cible en moins pour les fraudeurs.
Enfin, il ne faut pas perdre de vue l’essentiel : la France connaît chaque année une dynamique record de créations d’entreprise, preuve de la vitalité et de la créativité de son tissu économique. Préserver cette énergie entrepreneuriale exige de garantir un environnement sûr, clair et digne de confiance. Chaque arnaque déjouée, chaque entrepreneur informé, c’est une victoire contre la défiance et une avancée pour la liberté d’entreprendre.
Car au fond, la véritable question est celle-ci : voulons-nous que la première expérience administrative d’un entrepreneur soit celle d’une arnaque, ou celle d’une relation de confiance avec l’État et ses partenaires ? La réponse, évidente, nous engage collectivement.
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