Pourquoi les achats deviennent stratégiques
Un environnement sous tension
Inflation persistante, volatilité des matières premières, tensions géopolitiques, allongement des délais de transport, exigences accrues des clients en termes de qualité et de réactivité : les entreprises, et plus encore les PME et ETI, évoluent aujourd’hui dans un environnement sous contrainte permanente. À ces facteurs économiques et opérationnels s’ajoutent des exigences croissantes en matière de Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE), qui imposent davantage de transparence sur l’origine des produits, les conditions de fabrication et l’empreinte environnementale de la chaîne d’approvisionnement.
Dans ce contexte, chaque décision d’achat n’est plus un simple acte administratif. Elle engage des montants financiers importants, mais aussi des risques, des choix technologiques, des enjeux d’image, des contraintes réglementaires et parfois la continuité même de l’activité. La gestion des achats devient un levier central de la compétitivité, de la résilience opérationnelle et de la durabilité de l’entreprise.
De la commande à la création de valeur
Historiquement, la fonction achats se résumait souvent à un « service commande » chargé de traiter les demandes des opérationnels et d’obtenir le meilleur prix possible dans un délai donné. Ce modèle est désormais dépassé. Les organisations performantes considèrent aujourd’hui les achats comme un acteur stratégique à part entière.
Une fonction achats moderne influence directement le coût de revient des produits et des services, sécurise l’approvisionnement, contribue à l’innovation via les fournisseurs, pilote une part significative des risques et incarne une dimension importante de la politique RSE. Les achats se situent au croisement de la finance, des opérations, de la qualité, de la RSE et de la stratégie.
Ce guide propose une lecture structurée et pédagogique de cette transformation. Il accompagne pas à pas : compréhension des fondamentaux, cartographie et segmentation des achats, choix des principales stratégies, intégration de la durabilité, organisation de la fonction, digitalisation, pilotage de la performance et illustration à travers un cas concret.
Les fondamentaux de la gestion des achats
Achat, approvisionnement, supply chain : trois maillons complémentaires
Pour bien comprendre le rôle des achats, il est essentiel de distinguer trois notions souvent confondues : achat, approvisionnement et supply chain.
La fonction achats intervient dès l’expression du besoin. Elle analyse ce besoin, le formalise, observe le marché fournisseurs, prépare les consultations, négocie les conditions (prix, délais, qualité, services associés, clauses contractuelles, engagements RSE) et contractualise. Son rôle est fondamentalement stratégique : décider « avec qui » l’entreprise va travailler, « à quelles conditions » et « pour quels objectifs ».
L’approvisionnement se situe dans l’exécution. Une fois le fournisseur choisi et les conditions négociées, l’approvisionneur passe les commandes, suit les livraisons, gère les stocks, traite les écarts et les litiges. Son objectif est de garantir que les bons produits ou services arrivent au bon moment, dans les bonnes quantités, avec le bon niveau de qualité, tout en évitant les ruptures et les surstocks.
La supply chain adopte une vision globale. Elle orchestre l’ensemble des flux physiques, informationnels et financiers, depuis le fournisseur du fournisseur jusqu’au client final. Elle intègre les achats, l’approvisionnement, la logistique, parfois la planification et la distribution. Les décisions prises par la fonction achats s’inscrivent donc dans une architecture globale dont la supply chain assure la cohérence.
En résumé, l’acheteur définit le cadre et les partenaires, l’approvisionneur fait vivre ce cadre au quotidien, et la supply chain coordonne l’ensemble pour optimiser coûts, délais et qualité.
Les grands enjeux de la fonction achats
La performance achats ne se résume plus à « faire baisser les tarifs ». Elle repose sur l’équilibre de plusieurs enjeux, parfois concurrents les uns des autres.
Le premier enjeu est économique. Il ne s’agit plus seulement d’obtenir un bon prix d’achat, mais d’optimiser le Coût Total de Possession (TCO). Celui-ci inclut non seulement le prix, mais aussi les frais de transport et de douane, les coûts de stockage, de maintenance, de consommation énergétique, de non-qualité, de gestion administrative et parfois de fin de vie (recyclage, destruction, reprise).
Le deuxième enjeu est opérationnel. Un fournisseur peut proposer un prix très attractif, mais si ses délais sont incertains, si sa qualité est instable ou s’il provoque des ruptures récurrentes, le coût global pour l’entreprise peut rapidement exploser. Un bon achat est celui qui contribue à la continuité de production, à la fiabilité des livraisons et au respect des engagements clients.
L’innovation constitue un troisième enjeu majeur. De nombreuses avancées – nouveaux matériaux, composants plus efficaces, solutions numériques, services à valeur ajoutée – émergent chez les fournisseurs. Une fonction achats proactive est capable d’identifier ces opportunités, de les tester et de les intégrer dans les produits ou les processus internes, créant ainsi un véritable avantage concurrentiel.
Les risques, enfin, sont au cœur des préoccupations. Dépendance à un fournisseur unique, concentration des approvisionnements sur une zone géographique instable, exposition à des matières premières très volatiles, contraintes réglementaires ou douanières spécifiques : autant de facteurs que la fonction achats doit identifier, cartographier et piloter.
On peut synthétiser ces enjeux dans le tableau suivant, utile pour un comité de direction :
| Enjeu | Question centrale | Impact pour l’entreprise |
| Coûts / TCO | Combien coûte réellement ce que j’achète sur tout son cycle de vie ? | Marges, rentabilité, capacité d’investissement |
| Qualité / Délais | Le fournisseur est-il fiable et performant dans la durée ? | Continuité de production, satisfaction client |
| Innovation fournisseurs | Mes fournisseurs m’aident-ils à innover ? | Différenciation, montée en gamme, productivité |
| Risques | Que se passe-t-il si ce fournisseur ou cette zone fait défaut ? | Résilience, capacité à encaisser les chocs |
| RSE / Image | Mes achats sont-ils cohérents avec mes engagements durables ? | Réputation, conformité, attractivité employeur |
Le processus achats type, de l’idée au contrat
Un processus achats structuré suit une logique relativement universelle, que l’on peut décomposer en plusieurs grandes étapes successives.
Tout commence par l’expression et la validation du besoin. Cette phase consiste à clarifier ce que l’on souhaite réellement obtenir : caractéristiques techniques, performances attendues, volumes, fréquences, contraintes de délai, budget disponible, exigences en matière de RSE. Un besoin mal défini entraîne souvent des achats surdimensionnés, mal adaptés ou plus coûteux que nécessaire.
Vient ensuite la phase de sourcing. L’acheteur analyse le marché, identifie les fournisseurs potentiels, recueille des informations sur leurs capacités, leurs références, leur santé financière, leurs engagements RSE. Cette étape peut se traduire par un appel d’offres formalisé, une consultation restreinte, des visites de sites ou des tests techniques.
La troisième étape est celle de la négociation et de la contractualisation. Au-delà du prix, il s’agit de construire un accord équilibré : niveaux de service attendus, délais de livraison, conditions de paiement, modalités de contrôle, clauses d’indexation ou de révision, pénalités éventuelles, engagements RSE, gestion des litiges, propriété intellectuelle, confidentialité. Le contrat devient la référence commune qui encadre la relation.
Une fois le contrat en place, la gestion opérationnelle prend le relais. Les équipes d’approvisionnement émettent les commandes, suivent les livraisons, gèrent les stocks, contrôlent les réceptions, traitent les écarts et les litiges. La qualité du système d’information et du workflow de validation est déterminante pour garantir la traçabilité et l’efficacité de cette phase.
Enfin, la performance des fournisseurs est évaluée dans la durée. Des indicateurs de délai, de qualité, de fiabilité, de coûts, voire de performance RSE sont suivis dans le temps. Des revues périodiques permettent d’identifier les points de progrès, de lancer des plans d’action, de renégocier certaines conditions ou de réorienter des volumes.
L’ensemble du processus s’inscrit dans une logique d’amélioration continue : les achats évoluent avec le contexte, les priorités stratégiques et les retours d’expérience.
Cartographier ses achats : le point de départ de toute stratégie
La spend analysis : rendre visible ce qui ne l’est pas
Avant de parler de stratégie achats, il est indispensable de savoir précisément où va la dépense. La spend analysis consiste à consolider et analyser l’ensemble des achats sur une période donnée, généralement l’année écoulée.
Concrètement, cela implique d’extraire les données du système comptable ou de l’ERP, puis de les classifier par familles (matières premières, emballages, énergie, IT, prestations intellectuelles, transport, frais généraux…), par fournisseurs, par sites et par services demandeurs. Cet exercice fait souvent apparaître des situations insoupçonnées : dispersion des fournisseurs pour des produits identiques, achats récurrents réalisés hors contrats, volumes plus importants que prévu sur certaines catégories de frais généraux, écarts de conditions entre sites, etc.
L’application de la règle de Pareto permet de concentrer l’analyse sur l’essentiel : quelques familles et quelques fournisseurs représentent souvent la majorité de la dépense et des risques. Ce sont ces segments qui doivent, en priorité, faire l’objet de stratégies spécifiques.
Segmenter avec la matrice de Kraljic
Au-delà de la vision purement quantitative, il est nécessaire de qualifier les achats selon leur importance stratégique et leur niveau de risque. La matrice de Kraljic est l’outil de référence pour structurer cette réflexion.
En croisant deux axes – impact sur le profit (volume, sensibilité au coût) et complexité ou risque d’approvisionnement (nombre de fournisseurs disponibles, rareté, contraintes de marché) – on distingue quatre grandes catégories d’achats :
| Quadrant | Caractéristiques | Approche recommandée |
| Achats stratégiques | Forte contribution économique & fort risque d’approvisionnement | Partenariats, SRM, contrats de long terme, co-développement |
| Achats goulot | Impact financier modéré mais forte difficulté de sécurisation | Sécurisation, double sourcing, stocks de sécurité |
| Achats levier | Enjeu financier important sur un marché fournisseurs concurrentiel | Massification, appels d’offres, mise en concurrence |
| Achats non critiques | Faible enjeu économique & faible risque d’approvisionnement | Standardisation, simplification, e-procurement |
Cette segmentation évite de traiter tous les achats de la même manière. Elle permet de concentrer les efforts de négociation et de sécurisation là où ils sont les plus utiles, et de simplifier les achats à faible enjeu.
Visualiser les vulnérabilités : la carte des risques achats
La cartographie des achats doit également mettre en évidence les vulnérabilités de la chaîne d’approvisionnement. Il peut s’agir d’une dépendance extrême à un fournisseur unique, d’une concentration géographique sur une région instable, d’une forte exposition à une matière première dont les prix sont très volatils ou de l’absence d’alternative technique connue pour un composant critique.
Un schéma simple peut être utilisé en interne pour illustrer ces vulnérabilités :
Schéma de principe – Carte des risques achats :
Chaque principale famille d’achats est représentée par une bulle positionnée sur deux axes (impact économique et niveau de risque). La taille de la bulle reflète le volume de dépense. Les bulles situées en haut à droite (fort impact, haut risque) constituent les priorités absolues en termes d’actions à mener.
Ce type de représentation facilite le dialogue avec la direction générale et les métiers : il rend très visibles les zones de fragilité et permet de justifier des décisions parfois structurantes (diversification des sources, changement de fournisseur, investissements de sécurisation, etc.).
Les principales stratégies achats à mettre en œuvre
Massification et mutualisation des volumes
La stratégie de massification consiste à regrouper des volumes d’achats qui étaient auparavant éclatés entre différents sites ou services, afin de renforcer le pouvoir de négociation et de simplifier la gestion.
Par exemple, une ETI multi-sites peut décider de centraliser ses achats d’EPI, de fournitures de bureau ou de prestations de nettoyage. Un acheteur famille est alors nommé pour piloter ces catégories ; il définit un cahier des charges commun, lance une consultation à l’échelle du groupe, puis négocie un contrat cadre couvrant l’ensemble des besoins.
Les gains sont multiples : baisse des prix unitaires, réduction du nombre de fournisseurs, simplification des flux administratifs, meilleure visibilité sur la dépense. La contrepartie est une dépendance accrue à quelques partenaires, qui nécessite un suivi attentif de leur performance et de leur solidité financière.
Sourcing local ou global, mono-sourcing ou multi-sourcing
Le choix du mode de sourcing est au cœur de la stratégie achats. Le sourcing global permet d’accéder à des coûts de production plus faibles ou à des technologies spécifiques, mais expose davantage aux risques logistiques, aux taux de change, aux barrières douanières et aux aléas géopolitiques. Le sourcing local, au contraire, favorise la proximité, la réactivité, la réduction de l’empreinte carbone liée au transport et le soutien au tissu économique local, parfois au prix d’un coût facial plus élevé.
De la même manière, le recours au mono-sourcing (un seul fournisseur par famille) peut faciliter la gestion et permettre des gains importants, mais il rend l’entreprise extrêmement vulnérable en cas de défaillance de ce partenaire. Le dual sourcing ou multi-sourcing (plusieurs fournisseurs pour une même famille ou une même référence) offre une meilleure résilience et permet de maintenir une pression concurrentielle, au prix d’une complexité de gestion légèrement plus élevée.
L’enjeu pour la fonction achats est de trouver le juste équilibre entre optimisation économique et sécurisation des approvisionnements, en tenant compte du niveau de criticité de chaque famille.
Make or buy : ce que l’on garde en interne
La décision make or buy (faire ou acheter) consiste à déterminer s’il est plus pertinent pour l’entreprise de produire en interne un bien ou un service, ou de l’externaliser auprès d’un fournisseur.
Cette analyse doit intégrer plusieurs dimensions :
* le coût global de l’internalisation (investissements, charges fixes, compétences, maintenance, risques de sous-activité) comparé au coût d’achat externe ;
* la nature stratégique ou non du savoir-faire concerné : certaines compétences sont au cœur de l’avantage concurrentiel et doivent rester en interne ;
* la flexibilité nécessaire dans un environnement où les volumes peuvent fortement évoluer ;
* la capacité à contrôler la qualité, la sécurité, la confidentialité ou la propriété intellectuelle.
Externaliser une activité critique uniquement pour réduire le coût à court terme peut fragiliser l’entreprise à long terme. À l’inverse, conserver en interne des activités non stratégiques et peu différenciantes peut immobiliser des ressources précieuses.
Partenariats fournisseurs et SRM
Pour les familles d’achats stratégiques, la simple mise en concurrence régulière ne suffit pas toujours. Il devient pertinent d’entrer dans une logique de partenariat structurée, souvent désignée par le terme Supplier Relationship Management (SRM).
Dans ce cadre, le fournisseur est considéré comme un partenaire clé. Des revues de performance régulières sont organisées, des plans de progrès sont co-construits, des projets de co-développement sont lancés, des informations sont partagées (prévisions, contraintes, évolutions de la demande). L’évaluation ne porte plus seulement sur le prix, mais sur l’ensemble de la contribution : innovation, flexibilité, qualité, fiabilité, engagement RSE.
Ce type de relation suppose une transparence et une confiance mutuelles. En contrepartie, l’entreprise bénéficie d’un fournisseur stabilisé, impliqué dans la durée, capable de proposer des solutions nouvelles et de s’adapter plus rapidement en cas de crise.
TCO et gestion de l’incertitude
La maîtrise du TCO est le fil rouge qui relie toutes ces stratégies. Prenons l’exemple d’une machine de production : choisir le modèle le moins cher à l’achat peut sembler attractif, jusqu’au moment où l’on intègre les coûts de maintenance, les arrêts intempestifs, la consommation d’énergie, les rebuts produits, les interventions de techniciens et la durée de vie. Sur dix ans, la machine « économique » peut s’avérer bien plus coûteuse qu’une machine plus chère mais plus fiable, plus économe et mieux supportée.
Dans un contexte d’incertitude (volatilité des matières, inflations, crises), les clauses contractuelles deviennent un levier important : indexation des prix sur des indices publics, clauses de revoyure, contrats cadres pluriannuels, mécanismes de partage des hausses, sécurisation de volumes prioritaires. L’objectif n’est plus de figer un prix pour plusieurs années, mais de construire un cadre équilibré qui protège à la fois l’entreprise et le fournisseur face aux fluctuations.

Achats responsables et RSE : donner du sens à ses décisions
Quand les achats deviennent un pilier de la RSE
Les achats responsables se situent au croisement des enjeux économiques, sociaux et environnementaux. À chaque fois qu’une entreprise choisit un fournisseur, elle choisit aussi indirectement un modèle de société : conditions de travail dans la chaîne de valeur, respect des droits humains, consommation de ressources naturelles, gestion des déchets, empreinte carbone, éthique des affaires.
Adopter une politique d’achats responsables signifie intégrer de manière systématique les critères ESG (Environnement, Social, Gouvernance) dans les décisions d’achats, au même titre que le prix, la qualité et les délais. Cela suppose de demander des preuves (certifications comme ISO 14001, ISO 45001, évaluations RSE, bilans d’émissions de CO₂, chartes éthiques), de les analyser et de les prendre en compte dans la sélection des fournisseurs.
Intégrer les critères ESG dans les appels d’offres
Concrètement, un appel d’offres peut être structuré en plusieurs volets : un volet technique, un volet économique, un volet service et un volet RSE. Dans ce dernier, les fournisseurs sont invités à présenter leurs engagements, leurs certifications, leurs actions concrètes (réduction des emballages, plans de sobriété énergétique, politique sociale, diversité et inclusion, lutte contre la corruption, etc.).
Les offres peuvent ensuite être notées selon une grille qui pondère l’ensemble de ces critères. L’entreprise peut par exemple décider d’accorder un pourcentage significatif de la note globale à la dimension RSE. Dans certains cas, elle se fixe des objectifs chiffrés : part minimale d’achats locaux, recours à des entreprises du secteur adapté et protégé, réduction progressive de l’empreinte carbone sur la chaîne d’approvisionnement.
Des actions très concrètes sur le terrain
Les achats responsables ne doivent pas rester au niveau du discours. Ils se traduisent dans des décisions concrètes :
* sélectionner des emballages recyclables ou réutilisables plutôt que des conditionnements jetables ;
* privilégier des transporteurs qui investissent dans la décarbonation (véhicules moins polluants, optimisation des tournées, report modal) ;
* choisir des fournisseurs ayant mis en place des plans de réduction de leur consommation d’énergie, d’eau ou de matières ;
* intégrer des fournisseurs locaux lorsque cela est possible, pour réduire les distances parcourues et soutenir l’économie du territoire ;
* valoriser les fournisseurs engagés dans l’insertion, le handicap ou l’économie sociale et solidaire.
Ces actions peuvent être suivies par des indicateurs dédiés, qui viendront compléter les tableaux de bord achats : part des achats qualifiés de « responsables », volume estimé de CO₂ évité grâce à un changement de sourcing, progression des scores RSE des fournisseurs, nombre de fournisseurs évalués sur leur performance ESG.
Organiser la fonction achats et la doter des bons outils
Centraliser, décentraliser ou hybrider ?
Le choix d’organisation de la fonction achats dépend de la taille de l’entreprise, de sa structure et de son secteur d’activité.
Un modèle centralisé confie à une direction achats groupe la responsabilité de piloter les grandes familles, de négocier les contrats cadres, de définir les politiques et les standards. Il favorise la massification, l’harmonisation des pratiques, la maîtrise des risques et la cohérence avec la stratégie globale.
Un modèle décentralisé laisse au contraire chaque site, business unit ou service la liberté de gérer ses achats. Il offre de la réactivité, une meilleure prise en compte des spécificités locales, mais au prix d’une dispersion de la dépense, d’un moindre pouvoir de négociation et d’une difficulté à piloter le TCO.
La plupart des PME et ETI optent pour une organisation hybride : une équipe centrale définit la stratégie, anime la démarche RSE, gère les familles majeures et les fournisseurs stratégiques ; des relais locaux ou des acheteurs projet travaillent au plus près des besoins métiers, participent aux consultations et remontent les contraintes terrain. Ce modèle permet de concilier cohérence globale et agilité locale.
Digitaliser pour gagner en maîtrise et en traçabilité
La digitalisation est un levier puissant pour professionnaliser la fonction achats.
Les solutions d’e-procurement permettent de dématérialiser le processus de demande d’achat, de validation, de commande et de réception. Elles appliquent automatiquement les contrats et référentiels, réduisent les achats hors processus, améliorent la traçabilité et facilitent les analyses de dépenses.
Les plateformes d’e-sourcing simplifient la gestion des appels d’offres : préparation des dossiers, diffusion aux fournisseurs, réception des offres, comparaisons multicritères, archivage des échanges. Elles renforcent la transparence et la rigueur des consultations.
Les outils de Supplier Relationship Management (SRM) regroupent l’ensemble des informations sur les fournisseurs : données administratives, contrats, historiques de performance, audits, plans d’action, risques identifiés. Ils permettent de piloter la relation dans la durée plutôt que commande par commande.
Enfin, les solutions de Business Intelligence achats permettent de transformer les données en tableaux de bord lisibles pour la direction : répartition de la dépense, économies générées, exposition aux risques, progression RSE, suivi des KPI définis.
Les compétences de l’acheteur moderne
Le profil de l’acheteur a considérablement évolué. Il ne s’agit plus uniquement d’un négociateur chargé de faire baisser les prix. L’acheteur moderne doit savoir :
* exploiter des données chiffrées et interpréter des indicateurs ;
* comprendre les enjeux techniques des produits et des services qu’il achète ;
* maîtriser les bases juridiques des contrats ;
* conduire des projets transverses impliquant plusieurs fonctions ;
* animer des revues de performance avec des fournisseurs stratégiques.
À ces compétences techniques s’ajoutent des qualités comportementales : capacité à convaincre, à argumenter, à gérer des situations de tension, à créer de la confiance avec des interlocuteurs internes et externes. La culture RSE et la sensibilité aux risques complètent ce profil, faisant de l’acheteur un véritable acteur du pilotage global de l’entreprise.
Piloter la performance achats : indicateurs et amélioration continue
Construire un tableau de bord équilibré
Pour démontrer sa contribution et orienter ses décisions, la fonction achats doit se doter d’indicateurs pertinents. Un tableau de bord équilibré couvre généralement quatre grandes dimensions : économique, opérationnelle, risque et RSE.
On peut par exemple structurer les KPI de la manière suivante :
| Dimension | Exemples d’indicateurs |
| Économique | Économies réalisées par rapport au budget ou aux conditions précédentes, évolution du TCO sur les grandes familles, part de la dépense passée sous contrats négociés. |
| Opérationnelle | Taux de service fournisseur, respect des délais de livraison, taux de rupture d’approvisionnement, délai moyen de traitement des commandes. |
| Qualité | Nombre de non-conformités, taux de rebuts imputables aux fournisseurs, incidents qualité remontés par la production ou les clients. |
| Risques | Taux de dépendance à certains fournisseurs, concentration géographique des approvisionnements, nombre de fournisseurs critiques, existence de plans de continuité. |
| RSE | Part des achats qualifiés de responsables, volume estimé de CO₂ évité grâce à des changements de sourcing, progression des scores ESG des fournisseurs. |
Ce tableau de bord n’a de valeur que s’il est actualisé régulièrement et partagé avec la direction générale, la direction financière et les métiers concernés. Il permet de suivre les progrès, de détecter les dérives et de prioriser les actions.
De la mesure à l’action : installer l’amélioration continue
Mesurer la performance n’est qu’un point de départ. L’enjeu est de transformer ces mesures en décisions concrètes : réorienter une stratégie de sourcing, renégocier un contrat, lancer un plan de progrès avec un fournisseur, réduire le nombre de fournisseurs sur une famille donnée, diversifier au contraire les sources sur une autre.
Les incidents (ruptures, litiges, défauts qualité répétés) doivent donner lieu à des retours d’expérience formalisés. L’objectif est d’identifier les causes racines et d’ajuster les cahiers des charges, les contrats, les critères de sélection ou les processus internes.
L’amélioration continue passe également par une révision périodique de la segmentation (matrice de Kraljic). Une famille autrefois peu sensible peut devenir stratégique si les volumes augmentent, si les fournisseurs se raréfient ou si le contexte réglementaire change.
Étude de cas : transformer une dépendance critique en levier de résilience
Imaginons une ETI de 500 salariés spécialisée dans la fabrication d’équipements industriels. Pendant plusieurs années, cette entreprise a concentré l’essentiel de ses achats de composants électroniques critiques chez un fournisseur asiatique unique, réputé pour ses prix compétitifs. Les achats étaient peu structurés et largement décentralisés : chaque site passait ses commandes directement auprès de ce fournisseur, sans coordination globale ni suivi des risques.
Lorsque des perturbations logistiques et géopolitiques sont survenues, la situation s’est rapidement tendue. Les délais de transport se sont allongés, certaines livraisons ont été retardées ou annulées, et les ruptures se sont multipliées. Des lignes de production se sont retrouvées à l’arrêt, générant des coûts indirects importants : heures non productives, retards de livraison aux clients, pénalités contractuelles. Sur le papier, les prix restaient attractifs, mais le coût total pour l’entreprise devenait insoutenable.
Face à cette situation, la direction a décidé de reprendre la fonction achats en main. Une cartographie complète des achats a été réalisée. Elle a montré que ces composants électroniques représentaient une famille à très fort impact économique et très haut niveau de risque : clairement positionnée dans le quadrant « achats stratégiques/goulot » de la matrice de Kraljic.
Sur cette base, l’entreprise a choisi de déployer une stratégie de dual sourcing. Un second fournisseur, européen, a été identifié et qualifié. Son prix unitaire était plus élevé, mais ses délais étaient plus courts, sa flexibilité plus grande et sa proximité facilitait les échanges. Un partenariat structuré a été mis en place avec ce fournisseur : contrat pluriannuel, revues de performance trimestrielles, co-développement de certains composants pour améliorer leur fiabilité et réduire les rebuts.
En parallèle, un tableau de bord spécifique a été créé pour piloter cette famille d’achats, intégrant à la fois les coûts d’achat, les coûts d’arrêt de production, les coûts logistiques et des indicateurs de risques. La fonction achats a travaillé en étroite coordination avec la production, la supply chain et la direction financière.
Au bout d’un an, les résultats étaient significatifs : les incidents de rupture avaient diminué d’environ 40 %, les arrêts de production avaient été fortement réduits, et le TCO global sur cette famille avait baissé d’environ 8 %, malgré une hausse du prix unitaire sur certaines références. L’entreprise avait gagné en résilience, en stabilité et en capacité à tenir ses engagements clients. Le recours accru à un fournisseur européen avait par ailleurs permis d’améliorer l’empreinte carbone des approvisionnements, renforçant la crédibilité de la démarche RSE.
Faire des achats un véritable levier de pilotage
La gestion des achats ne relève plus du simple ordre de commande. Elle est devenue une fonction stratégique, au carrefour de la finance, des opérations, de l’innovation, de la gestion des risques et de la RSE. Chaque choix de fournisseur, chaque contrat signé, chaque stratégie de sourcing ou de massification engage bien plus que le prix : il conditionne la performance globale et la capacité de l’entreprise à résister aux chocs.
Pour transformer la fonction achats en véritable levier de pilotage, trois étapes clés s’imposent. Il s’agit d’abord de rendre visible la dépense et les risques, grâce à une cartographie rigoureuse et à une segmentation structurée. Il convient ensuite de définir une feuille de route claire, en choisissant pour chaque segment les stratégies les plus adaptées : massification, dual sourcing, partenariats SRM, décisions make or buy, intégration de la RSE. Enfin, il est essentiel de mettre en place une organisation et des outils permettant de piloter cette feuille de route dans la durée : digitalisation, tableaux de bord, indicateurs équilibrés, logique d’amélioration continue.
L’acte d’achat est, en réalité, le premier acte de création de valeur de l’entreprise. Bien pensé, il devient un facteur de compétitivité durable, de résilience et de différenciation. Mal maîtrisé, il fragilise la chaîne de valeur et expose l’organisation à des risques majeurs. Structurer, outiller et professionnaliser la fonction achats n’est donc plus une option : c’est une condition de performance et un levier de transformation pour les entreprises qui veulent rester maîtresses de leur destin dans un environnement incertain.
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