Avec la pandémie, de nombreuses entreprises sont en difficultés, ou risquent de l’être à court terme. Comment peuvent-elles utiliser les outils juridiques et financiers pour préparer l’avenir, et quels sont les réflexes à développer pour prévenir ces difficultés.
Les difficultés, cela n’arrive pas qu’aux autres. Fort est de constater que jusqu’à ce qu’elles apparaissent, de nombreux chefs d’entreprise connaissent mal les procédures auxquelles ils peuvent avoir recours.
Le grand paradoxe : baisse des défaillances malgré la crise
En 2020, le PIB a chuté de 9 points en France. Les plans de sauvegarde de l’emploi ont été multipliés par deux : 530 PSE ont conduit à la rupture de plus de 70 000 contrats de travail. Les offres d’emplois en ligne ont baissé de 25 % et la dette cumulée des entreprises a bondi de 13 %, atteignant les 1200 milliards d’euros.
Paradoxalement, malgré cette situation préoccupante, les défaillances d’entreprises ont baissé de 40 %. Certes, certains grands dossiers médiatiques, notamment dans le retail, ont mobilisé les médias. Toutefois, force est de constater le nombre peu élevé des défaillances. La raison se trouve certainement dans l’efficacité des aides de l’Etat, avec au premier chef le PGE – prêt garanti par l’Etat -, ainsi que l’activité partielle, le fonds de solidarité et l’exonération ou le report de charges sociales, qui ont fourni aux entreprises la trésorerie et le temps dont elles avaient besoin.
A noter que parmi les 630 000 entreprises qui ont bénéficié d’un PGE (pour un montant total de 135 milliards d’euros sur les 300 milliards qui avaient été budgétés), 88 % sont des TPE de moins de 10 salariés, et 6 % des PME de moins de 250 salariés ; alors que les ETI et les grandes entreprises ne représentent que 0,3 %.
Attention au PGE qui peut créer une trésorerie « fictive »
La question centrale qui se pose aujourd’hui est la manière dont les entreprises vont rembourser leur PGE. En effet, cet emprunt n’a pas été contracté pour financer des investissements, ce qui est normalement l’objectif d’un emprunt, mais pour éponger des pertes. Et il risque de s’ajouter aux emprunts contractés antérieurement par les entreprises et ceux à venir pour financer la reprise de l’activité et l’innovation. S’il améliore ponctuellement le solde de leur compte bancaire, il ne doit pas masquer leurs éventuelles difficultés. Pour soulager les entreprises, l’Etat leur donne le choix : soit, comme prévu initialement, bénéficier d’une année de franchise (pour la plupart cette période arrive à échéance entre avril et juin) et rembourser le prêt sur 5 ans ; soit bénéficier d’une année de franchise supplémentaire (soit deux années au total) mais en remboursant le prêt sur 4 ans.
Globalement, les autres mesures gouvernementales permettent aux entreprises soit de disposer d’un peu plus de trésorerie, soit de diminuer leurs charges.
Continuer à travailler avec tous les acteurs de l’entreprise
Depuis un an, les experts-comptables, les avocats, les commissaires aux comptes, les partenaires économiques et les partenaires financiers travaillent au quotidien, et en équipe, pour voler au secours des entreprises. Si la première phase de la crise en 2020, grâce à leur mobilisation et aux aides gouvernementales, n’a pas engendré trop de défaillances, il est essentiel que les dirigeants comprennent qu’ils ont tout intérêt à continuer à travailler en symbiose avec eux, afin de déployer une stratégie efficace qui sera gage de leur pérennité. En effet, les aides conjoncturelles vont évoluer vers une situation d’assistance structurelle de moins en moins favorable : le « quoi qu’il en coûte » va progressivement s’estomper…
Des enjeux de survie pour le retour à l’autonomie
Comment s’assurer que les mesures pour passer d’une situation d’aides à un retour vers l’autonomie des entreprises sont prises ou peuvent être prises ? Comment gérer les impacts de la situation actuelle – remboursement, évolution de l’activité… – pour qu’ils n’obèrent pas la pérennité de l’entreprise ?
Aujourd’hui, beaucoup d’entreprises sont fragiles : soit parce qu’elles sont « sous perfusion » des aides, soit parce que l’impact de la crise va se faire ressentir en décalage, en 2021, soit à l’inverse, pour celles qui profitent de l’effet d’aubaine, parce qu’elles doivent gérer la croissance et assurer leur besoin en fonds de roulement.
Pour certaines, l’activation des procédures judiciaires peut être une bonne stratégie. Mais pour toutes, l’anticipation et la prévention sont la clé de la pérennité.
La trousse de secours : mandat ad hoc, conciliation et sauvegarde
Le droit français est très complet et offre un certain nombre de solutions qui n’existent pas dans beaucoup de pays. Ce système a fait ses preuves. Les « urgentistes », spécialistes des entreprises en difficulté, sont finalement assez peu nombreux, avec un avantage : tous se connaissent entre experts-comptables, avocats, administrateurs judiciaires, tribunaux de commerce, et ont la capacité à se mobiliser rapidement en mode « commando », car la notion de temps est déterminante dans ces procédures.
Les deux mesures les moins traumatisantes, amiables, sont le mandat ad hoc et la conciliation, qui peuvent être initiées tant que l’entreprise n’est pas encore en cessation de paiement ou qu’elle l’est depuis très peu de temps (moins de 45 jours). Comment cela se passe-t-il ? L’entreprise ou son conseil présente une requête au président du tribunal pour faire désigner soit un mandataire ad hoc, soit un conciliateur. Ces deux experts sont des spécialistes du traitement des difficultés. Il est important d’insister sur le fait qu’il s’agit d’un rendez-vous dans le bureau du président du tribunal de commerce, en aucun cas d’un « cérémonial » qui pourrait rappeler une « audience punitive » ! De plus, le président du tribunal n’est pas qu’un magistrat, mais également, et avant tout, un chef d’entreprise, qui comprend la situation et porte un regard bienveillant. Leur posture est de venir en appui et en accompagnement de l’entreprise en difficulté. Lors de ces réunions, il est expliqué et prouvé que l’entreprise n’est pas en état de cessation de paiement (ou qu’elle l’est depuis peu de temps) mais que si rien n’est fait, sa situation s’aggravera rapidement. C’est lui qui va désigner le mandataire ad hoc ou le conciliateur que l’entreprise aura choisi.
L’intérêt est double :
- Le mandataire ou le conciliateur va choisir les créanciers avec lesquels il va engager les discussions. La plupart du temps, ce sont les banques (pour suspendre le remboursement en capital par exemple, voire pour obtenir un nouveau prêt), les créanciers publics (Urssaf, impôts) et souvent les actionnaires. Les fournisseurs sont rarement sollicités, car ils pourraient diffuser l’information dans l’éco-système de l’entreprise. En clair, l’entreprise prend à ses côtés un négociateur averti.
- Ces deux procédures sont strictement confidentielles, sans aucune publicité légale ou autre. Il s’agit d’un acte de gestion courante.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 80 % de succès pour les mandats ad hoc, 70 % de succès pour les conciliations. Les dirigeants ont réellement intérêt à utiliser ces outils.
Si l’entreprise est en cessation de paiement, c’est alors la procédure de sauvegarde qui s’applique, avec un jugement du tribunal : personne ne peut ignorer alors que l’entreprise est placée en sauvegarde judiciaire.
Dans tous les cas, l’information financière doit être fiabilisée : une expertise indépendante sur l’état de l’entreprise et notamment de la situation de sa trésorerie est un passage obligé.
Le passage de l’une à l’autre des procédures est possible à tout moment
La ligne de démarcation : l’état de cessation de paiement
Rappelons le principe de base : tant que l’entreprise n’est pas en état de cessation de paiement ou qu’elle l’est depuis moins de 45 jours, elle peut faire appel au mandat ad hoc ou à la conciliation ; si la seule sélection de quelques créanciers (banquiers, crédit bailleurs, Urssaf, Trésor public, actionnaires…) ne s’avère pas suffisante pour soulager la trésorerie, ou qu’elle est déjà en état de cessation de paiement, c’est automatiquement et directement vers une procédure de sauvegarde qu’il faudra se tourner.
La définition légale de la cessation de paiements est la suivante : l’impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible. Le passif exigible n’inclut que les dettes échues dont le paiement est requis immédiatement : dettes d’exploitation, fiscales, sociales et bancaires. L’actif disponible correspond à l’actif liquide, c’est-à-dire réalisable ou convertible en argent rapidement. Toutefois, l’actif circulant (stocks et créances clients), bien que non liquide, peut le devenir (affacturage, gage sur stocks…).
Il est en conséquence essentiel d’avoir une approche dynamique à court terme, à un ou trois mois, pour pouvoir anticiper les mesures à prendre si un risque de cessation de paiements est identifié.
Les prévisions de trésorerie : vivantes et dynamiques
En temps normal, les prévisions de trésorerie font partie intégrante d’une saine gestion. Mais en période de pandémie, elles sont totalement indispensables. Il s’agit d’élaborer un document dans lequel l’entreprise et ses conseils se projettent, au mois le mois, sur du moyen terme : 18, 24 ou 36 mois maximum, afin de quantifier la génération et la consommation de trésorerie.
L’intérêt est évident en interne pour anticiper les difficultés et prendre à temps les mesures qui s’imposent, et en externe pour convaincre le banquier qui n’acceptera des reports d’échéances que si on sait lui démontrer par A + B cette impérieuse nécessité.
Pour concevoir un prévisionnel de trésorerie efficace, celui-ci doit intégrer deux critères :
- le tableur doit être dynamique, vivant, et mis à jour le plus souvent possible : un prestataire qui lâche, ou à l’inverse une commande en plus, doit pouvoir être intégré immédiatement ;
- identifier les éléments clés de l’entreprise, les fameux KPI – key performance indicators – susceptibles d’impacter positivement ou négativement la trésorerie de l’entreprise.
Prévention : les réflexes stratégiques et financiers à développer
Que l’entreprise soit en difficulté ou en bonne marche, aujourd’hui rien n’est acquis, et tous les dirigeants doivent acquérir les bons réflexes qui leur permettront d’être « toujours prêts » quoi qu’il arrive :
1 – Continuer à adapter son nouvel écosystème : soigner ses fournisseurs, en trouver de nouveaux, faire évoluer son offre digitale, optimiser ses processus… C’est en permanence que le dirigeant doit réfléchir à ces sujets. En clair, l’agilité « forcée » en 2020 doit devenir naturelle en 2021.
2 – Ne pas obérer sa capacité de négociation. Payer ses dettes fiscales et sociales. Soigner ses fournisseurs stratégiques : si un jour le dirigeant doit négocier avec eux, ils seront plus enclins à la négociation si celui-ci a été correct avec eux.
3 – Développer une flexibilité décisionnelle, par exemple, le PGE doit-il être remboursé ou prorogé ? Si demain la situation évolue, il faut pouvoir aller négocier avec toutes les cartes en main.
4 – Se focaliser sur les flux de trésorerie : analyser ce qui génère de la trésorerie, définir ses indicateurs clés, ne pas hésiter à faire des choix stratégiques ; si par exemple une division devient moins performante, se projeter à trois mois, etc.
5 – Être extrêmement vigilant sur le besoin en fonds de roulement. Le dirigeant peut se retrouver du jour au lendemain avec des clients qui ne peuvent pas payer, des fournisseurs qui ne peuvent plus livrer. Pour les entreprises en forte croissance (il y en a durant cette pandémie), anticiper les besoins en BFR est tout aussi vital que pour les entreprises en difficulté.
6 – Ne pas être en pilote automatique. Bannir par exemple les relances automatiques de factures des clients qui ont 30 ou 40 jours de retard. Traiter tout au cas par cas, appeler ses partenaires, pour « sentir » les tendances et, donc, anticiper les défaillances.
7 – Penser « cash ».
8 – Ne pas rester seul !
Qu'en pensez vous ?