Défis et solutions pour les entreprises

Dans un contexte économique marqué par une inflation galopante, les entreprises font face à de nouveaux défis en matière de gestion financière et de prévisions de trésorerie. Après des années de stabilité relative des prix, l’inflation a atteint des niveaux préoccupants en 2022, dépassant 7% en France et atteignant même 20% dans certains pays de la zone euro. Cette situation inédite depuis plusieurs décennies bouleverse les habitudes de gestion et oblige les directions financières à repenser leurs méthodes de prévision et de pilotage.

Les impacts directs de l’inflation sur la gestion financière

L’inflation a des répercussions importantes sur plusieurs aspects de la gestion financière des entreprises :

Pression sur les marges

La hausse des coûts des matières premières, de l’énergie et des salaires met les marges des entreprises sous pression. L’augmentation des charges d’exploitation entraîne une baisse de l’EBITDA, tandis que la hausse des taux d’intérêt alourdit les charges financières. Certains secteurs parviennent à répercuter ces hausses sur leurs prix de vente, mais ce n’est pas le cas pour tous.

Fragilisation de la performance financière

La hausse des taux d’intérêt va progressivement impacter les frais financiers des entreprises, même si certaines bénéficient encore de conditions négociées antérieurement. Cela va entraîner une baisse de la performance financière nette et nécessiter un pilotage opérationnel plus fin pour maintenir la compétitivité.

Tension sur les ratios financiers

Le ratio de levier et de couverture des frais financiers risque de mettre en difficulté certaines entreprises vis-à-vis de leurs covenants bancaires, fragilisant leur structure financière et leurs relations avec les partenaires financiers.

Volatilité accrue des prévisions

L’instabilité économique rend les projections financières beaucoup plus volatiles, obligeant à une réactualisation plus fréquente des prévisions de trésorerie.

Face à ces défis, les entreprises doivent adapter leurs pratiques de gestion financière et de prévision de trésorerie.

Les actions opérationnelles à mettre en place

Pour contrer la baisse de performance financière, plusieurs actions peuvent être envisagées :

Répercussion sur les prix de vente

Lorsque c’est possible, l’augmentation des prix de vente permet de compenser en partie la hausse des charges. C’est notamment le cas dans les secteurs de l’agroalimentaire ou du textile. La SNCF, par exemple, a partiellement compensé une hausse de 2 milliards d’euros de ses coûts d’électricité par une augmentation du prix des billets.

Révision des contrats fournisseurs

Il est important de revoir les contrats avec les principaux fournisseurs en instaurant des clauses de révision de prix plus fréquentes, par exemple trimestrielles plutôt qu’annuelles. Cela permet de mieux répercuter les variations de coûts.

Ajustement du plan d’investissement

Certaines entreprises revoient leur plan d’investissements à la baisse pour réduire les besoins de financement et la pression sur le cash. Des arbitrages sont nécessaires pour prioriser les investissements les plus stratégiques.

Chasse aux coûts

Cette période est l’occasion de remettre en question certaines habitudes et d’optimiser les coûts sans impacter la qualité du service client. Cela peut concerner la gestion des déchets, l’efficacité énergétique, etc.

Recours à des financements supplémentaires

Bien que la hausse des taux rende les nouveaux financements moins attractifs, certaines entreprises peuvent avoir besoin de financements complémentaires. L’utilisation d’instruments de couverture de taux peut alors être envisagée pour limiter le risque.

Adapter les prévisions de trésorerie au nouveau contexte

Face à cette situation, les méthodes traditionnelles de prévision de trésorerie montrent leurs limites. Il devient nécessaire d’adapter les pratiques pour gagner en agilité et en précision.

Différencier les horizons de prévision

Il est important de distinguer deux grandes familles de prévisions de trésorerie :

  • Le Cash Management : focalisé sur le court terme, il vise la gestion des liquidités.
  • Le Planning Financier : avec un horizon plus long, il traduit les hypothèses budgétaires et de business plan en structure financière.

Les effets de l’inflation sont plus marqués sur les prévisions à moyen terme, qui dépendent des éléments budgétaires d’exploitation et d’investissement. Le budget annuel, souvent établi en fin d’année précédente, devient rapidement obsolète dans ce contexte.

Adopter le rolling forecast

Le concept de rolling forecast, ou prévisions glissantes, s’impose comme une nécessité pour s’adapter aux fluctuations rapides de l’environnement économique. Il s’applique à tous les horizons de prévision et permet de réajuster régulièrement les données non historiques telles que :

  • Les volumes de vente
  • Les prix de vente et d’achat
  • Les coûts de main-d’œuvre et de matériel
  • Les taux de change et d’intérêt

Ajuster la fréquence des mises à jour

La fréquence de mise à jour du rolling forecast dépend des ressources internes et des besoins spécifiques de l’entreprise. Pour l’horizon budgétaire, une mise à jour trimestrielle du rolling forecast sur 12 mois est recommandée a minima.

Combiner les méthodes de prévision

De plus en plus d’entreprises optent pour une combinaison des méthodes directe (basée sur les flux) et indirecte (basée sur les données du contrôle de gestion) pour leurs prévisions de trésorerie. Cette approche permet de bénéficier des avantages de chaque méthode :

  • La méthode directe offre une vision précise des flux de trésorerie à court terme.
  • La méthode indirecte permet une meilleure visibilité sur les performances financières à moyen et long terme.

Le groupe SAFO, par exemple, a d’abord mis en place une solution de prévisions en méthode directe avant de la compléter par une approche indirecte. À l’inverse, GEODIS a commencé par des prévisions indirectes avant de les compléter par des prévisions directes pour gagner en réactivité.

Bonnes pratiques pour limiter l’incertitude

Dans ce contexte d’incertitude, plusieurs bonnes pratiques peuvent être mises en place pour améliorer la fiabilité des prévisions de trésorerie :

Impliquer toutes les parties prenantes

Il est crucial d’impliquer l’ensemble des départements de l’entreprise dans le processus de prévision. Cela permet de collecter des informations plus précises et de sensibiliser chacun à l’importance de la gestion de trésorerie.

Automatiser la collecte des données

L’utilisation d’outils technologiques permet d’automatiser la collecte des données et de réduire les risques d’erreur. Cela facilite également la mise à jour fréquente des prévisions.

Utiliser des indicateurs avancés

L’intégration d’indicateurs avancés, tels que les carnets de commandes ou les tendances du marché, permet d’anticiper plus efficacement les variations de trésorerie.

Mettre en place des scénarios

La réalisation de plusieurs scénarios (optimiste, pessimiste, réaliste) permet de mieux appréhender les différentes évolutions possibles et de préparer des plans d’action adaptés.

Analyser les écarts

Une analyse régulière des écarts entre les prévisions et les réalisations permet d’affiner continuellement la précision des prévisions et d’identifier les facteurs de variation.

Adapter le reporting financier

Face à ce nouveau contexte, il est également nécessaire d’adapter le reporting financier pour fournir une vision plus pertinente de la situation de l’entreprise.

Intégrer de nouveaux indicateurs

De nouveaux KPI peuvent être intégrés au reporting pour mieux refléter l’impact de l’inflation :

  • Évolution des marges par produit ou service
  • Taux de répercussion de l’inflation sur les prix de vente
  • Indicateurs de productivité
  • Ratios de couverture des frais financiers

Privilégier une vision dynamique

Le reporting doit adopter une approche plus dynamique, en mettant l’accent sur les tendances et les variations plutôt que sur des valeurs absolues qui peuvent rapidement devenir obsolètes.

Renforcer la fréquence du reporting

Dans un environnement volatile, il peut être nécessaire d’augmenter la fréquence du reporting financier pour permettre une prise de décision plus réactive.

Mettre en place des dashboards interactifs

L’utilisation de tableaux de bord interactifs permet une visualisation plus claire des données et facilite l’analyse des tendances et des écarts.

Illustration : modéliser et simuler ses prévisions de trésorerie

Pour mettre en pratique ces recommandations, voici une approche en quatre étapes pour modéliser et simuler vos prévisions de trésorerie :

Étape 1 : Collecter les données

  • Rassembler les données historiques de trésorerie
  • Collecter les prévisions de ventes et d’achats auprès des différents départements
  • Intégrer les données macroéconomiques pertinentes (taux d’inflation, taux d’intérêt, etc.)

Étape 2 : Construire le modèle de prévision

  • Élaborer un modèle combinant les approches directe et indirecte
  • Intégrer des variables permettant de simuler différents scénarios d’inflation
  • Prévoir des mécanismes d’ajustement automatique en fonction des réalisations

Étape 3 : Réaliser des simulations

  • Définir plusieurs scénarios (optimiste, pessimiste, réaliste)
  • Tester l’impact de différents niveaux d’inflation sur la trésorerie
  • Évaluer les conséquences de diverses actions correctives (augmentation des prix, réduction des coûts, etc.)

Étape 4 : Analyser et ajuster

  • Comparer régulièrement les prévisions aux réalisations
  • Identifier les facteurs de variation les plus importants
  • Affiner continuellement le modèle en fonction des écarts constatés

La gestion des prévisions de trésorerie dans un contexte d’inflation élevée représente un défi majeur pour les entreprises. Elle nécessite une adaptation des méthodes traditionnelles vers des approches plus agiles et réactives. L’adoption du rolling forecast, la combinaison des méthodes directe et indirecte, l’automatisation de la collecte des données et la mise en place de scénarios sont autant de pratiques qui permettent de maintenir la fiabilité des prévisions dans cet environnement incertain.

Au-delà des aspects techniques, cette situation invite également à repenser la culture financière de l’entreprise. Elle encourage une plus grande collaboration entre les différents départements et une sensibilisation accrue à l’importance de la gestion de trésorerie à tous les niveaux de l’organisation.

Enfin, il est important de souligner que si l’inflation pose de nombreux défis, elle peut aussi représenter une opportunité pour les entreprises de revoir en profondeur leurs processus de gestion financière et d’en sortir plus agiles et plus performantes. Les organisations qui sauront s’adapter rapidement à ce nouveau contexte et mettre en place des outils de pilotage financier performants seront les mieux armées pour traverser cette période d’incertitude et en sortir renforcées.

Ce qu’il faut retenir sur la gestion des prévisions de trésorerie dans un contexte d’inflation

:L’article aborde les défis posés par l’inflation élevée sur la gestion financière des entreprises et propose des solutions pour adapter les prévisions de trésorerie. Les principaux points sont :

  1. Impacts de l’inflation :
    • Pression sur les marges et la performance financière
    • Volatilité accrue des prévisions
    • Tension sur les ratios financiers
  2. Actions opérationnelles recommandées :
    • Répercussion sur les prix de vente
    • Révision des contrats fournisseurs
    • Ajustement du plan d’investissement
    • Optimisation des coûts
    • Recours à des financements supplémentaires
  3. Adaptation des prévisions de trésorerie :
    • Adoption du rolling forecast (prévisions glissantes)
    • Différenciation des horizons de prévision (court terme et moyen/long terme)
    • Combinaison des méthodes directe et indirecte
  4. Bonnes pratiques :
    • Implication de toutes les parties prenantes
    • Automatisation de la collecte des données
    • Utilisation d’indicateurs avancés
    • Mise en place de scénarios
    • Analyse régulière des écarts
  5. Adaptation du reporting financier :
    • Intégration de nouveaux indicateurs
    • Adoption d’une vision plus dynamique
    • Augmentation de la fréquence du reporting
    • Utilisation de dashboards interactifs

L’article souligne l’importance d’une approche agile et réactive dans la gestion financière face à l’inflation, en mettant l’accent sur la nécessité d’adapter continuellement les méthodes de prévision et de pilotage pour maintenir la performance financière de l’entreprise.