Opportunités RH, risques réputationnels et impact sur la marque employeur
Contexte et objectifs du CVE
L’emploi des seniors est depuis plusieurs années au cœur des débats économiques et sociaux en France. En 2025, la question devient urgente : l’âge légal de départ à la retraite a été relevé à 64 ans, et l’espérance de vie en bonne santé reste inférieure à celle d’autres pays européens. Dans ce contexte, les entreprises se trouvent confrontées à un double défi : maintenir les seniors en emploi tout en préparant des transitions de carrière fluides.
Le Contrat de Valorisation de l’Expérience (CVE), surnommé le CDI senior, est l’une des réponses du législateur. Prévu par l’Accord National Interprofessionnel (ANI) du 14 novembre 2024 et inscrit dans la loi pour entrer en vigueur à la rentrée 2025, ce dispositif vise à relancer l’emploi des demandeurs d’emploi âgés.
Selon les données de la Direction Générale du Trésor et du Ministère du Travail, le taux d’emploi des 60‑64 ans en France plafonne à 38-40 %, contre 51 % en moyenne dans l’Union européenne et près de 65 % en Allemagne. Cet écart pénalise non seulement l’équilibre du système de retraite, mais prive aussi les entreprises d’un capital d’expérience et de compétences considérable.
L’objectif affiché du CVE est donc double :
- Redonner une place aux seniors sur le marché du travail, via un CDI adapté et attractif.
- Offrir aux employeurs un cadre sécurisé et financièrement incitatif, pour recruter sans craindre un engagement trop long ou coûteux.
Ce dispositif a également une portée stratégique pour les PME et ETI, qui constituent l’essentiel du tissu économique français. Pour elles, recruter un senior via un CVE peut représenter une opportunité de renforcer leurs équipes, tout en améliorant leur marque employeur grâce à une politique RH inclusive.
Mécanismes et caractéristiques du CVE
Le CVE n’est pas un contrat temporaire ou un simple aménagement d’un CDD : c’est un CDI à part entière, avec des spécificités qui le distinguent du droit commun.
Durée et conditions d’accès
Le CVE est réservé aux demandeurs d’emploi âgés de 60 ans et plus, inscrits à France Travail. Par dérogation, certaines branches professionnelles peuvent abaisser l’âge d’accès à 57 ans, sous réserve d’un accord collectif.
Il est strictement interdit de conclure un CVE avec une personne ayant occupé un CDI dans la même entreprise ou le même groupe au cours des six derniers mois. Cette règle vise à éviter les détournements de procédure.
Mise à la retraite anticipée
Contrairement au CDI classique, le CVE autorise l’employeur à mettre un salarié d’office à la retraite dès que celui-ci atteint l’âge du taux plein, sans attendre les 70 ans imposés par le droit commun. Cette disposition constitue à la fois l’atout principal et le point le plus critiqué du dispositif.
Pour le salarié, cela signifie que le contrat est stable, mais sa durée est prévisible et limitée. Pour l’employeur, cela permet d’anticiper la fin de carrière et de sécuriser ses effectifs.
Allègements financiers
Le législateur a prévu des incitations financières significatives :
- Une exonération de 30 % de la cotisation patronale sur l’indemnité de mise à la retraite.
- Une réduction progressive des cotisations chômage, prévue à compter de 2027 : un point de cotisation en moins par an après 60 ans, sous réserve d’un accord unanime entre partenaires sociaux.
Durée expérimentale
Le CVE sera mis en place à titre expérimental pendant cinq ans (2025‑2030). Un bilan d’étape est prévu fin 2026 pour mesurer son efficacité et ajuster les paramètres si nécessaire.
Traçabilité administrative
Dès 2026, les employeurs devront identifier chaque CVE dans la Déclaration Sociale Nominative (DSN) via un code spécifique (83). Cette obligation vise à garantir un suivi statistique et une conformité juridique.
Bénéfices RH pour les PME/ETI
Le CVE offre aux PME et ETI plusieurs avantages RH stratégiques, tant sur le plan financier que managérial.
Recruter des profils expérimentés
Les seniors recrutés via un CVE apportent une expertise immédiate, sans le besoin de longues phases de formation. Dans des secteurs où la compétence technique et la transmission des savoirs sont déterminantes (industrie, gestion de projet, comptabilité, formation interne), cela représente un gain de temps et d’efficacité considérable.
Un exemple concret : une PME industrielle du secteur mécanique peut recruter un technicien senior ayant 35 ans d’expérience. Ce salarié sera opérationnel dès son embauche et pourra en parallèle former les jeunes recrues, réduisant ainsi les coûts de tutorat.
Sécurité contractuelle pour l’employeur
Le CVE, bien qu’étant un CDI, n’expose pas l’entreprise à un engagement indéfini : la possibilité de mise à la retraite à taux plein offre une visibilité claire sur la durée potentielle du contrat. Pour les PME qui hésitent à recruter des seniors par crainte d’un blocage à long terme, c’est un facteur rassurant.
Allègement du coût salarial
Les exonérations prévues allègent la facture sociale. Pour une PME de 50 salariés, le recrutement de deux profils en CVE peut représenter une économie annuelle de plusieurs milliers d’euros. À partir de 2027, la réduction des cotisations chômage accentuera cet avantage, améliorant la compétitivité face aux grandes entreprises.
Amélioration de la diversité et de l’inclusion
Dans un contexte où la marque employeur joue un rôle croissant dans le recrutement, l’embauche de seniors via un CVE permet de valoriser une politique RH inclusive. Cela répond aussi aux attentes des jeunes générations, souvent sensibles à la transmission intergénérationnelle et à la responsabilité sociale de l’entreprise.
Risques en termes de réputation et d’image
Si le CVE constitue une opportunité indéniable, il présente aussi des zones de risque réputationnel pour les PME et ETI, qu’il convient d’anticiper.
Risque de perception négative
Le premier enjeu tient à la perception du CVE comme un CDI à durée limitée. En effet, la possibilité pour l’employeur de mettre d’office un salarié à la retraite dès l’âge du taux plein, sans son accord, a suscité de vives critiques de la part de certains syndicats et associations de défense des seniors.
Les médias n’ont pas hésité à qualifier le CVE de « CDI précaire » ou de « CDI à durée masquée », ce qui peut nuire à l’image sociale des entreprises qui l’utilisent sans communication claire.
Tensions sociales internes
Dans une PME, où la proximité hiérarchique est forte, l’annonce d’un CVE peut créer un climat de méfiance ou de malaise, notamment si d’autres salariés plus jeunes perçoivent ce dispositif comme une forme de « traitement spécial ».
De plus, la perspective d’une mise à la retraite non volontaire peut générer de l’anxiété parmi les salariés concernés, réduisant leur engagement et leur sentiment d’appartenance.
Impact sur la fidélité des salariés
Une communication maladroite peut donner l’impression que l’entreprise recrute uniquement pour bénéficier des exonérations ou pour se débarrasser des seniors à moindre coût. Cette perception peut affecter la fidélité des équipes en place et nuire au climat social.
Risque médiatique et institutionnel
Dans un contexte où les politiques publiques mettent en avant la nécessité de valoriser l’expérience et la transmission intergénérationnelle, l’usage du CVE à mauvais escient (par exemple, en multipliant les mises à la retraite anticipées) pourrait exposer l’entreprise à un bad buzz médiatique.
Les PME et ETI, moins armées que les grands groupes pour gérer une crise de réputation, doivent être particulièrement vigilantes.

Impact sur la marque employeur des PME/ETI
Bien utilisé, le CVE peut au contraire devenir un levier puissant pour la marque employeur des PME et ETI.
Une preuve d’inclusion intergénérationnelle
Recruter un senior en CVE, c’est afficher clairement la volonté d’inclure toutes les générations dans l’entreprise. Dans un marché du travail marqué par la quête de sens et l’attention portée aux valeurs sociales, cela renforce l’attractivité de l’entreprise.
Un sondage OpinionWay de 2024 indiquait que 62 % des candidats privilégient les entreprises affichant une politique RH inclusive.
Valorisation de la transmission des savoirs
Les seniors sont des vecteurs naturels de mentorat et de transmission des compétences. Positionner le CVE comme un outil de formation interne pour les jeunes talents peut transformer un dispositif réglementaire en avantage compétitif.
Par exemple, une ETI du secteur BTP peut embaucher des conducteurs de travaux seniors en CVE pour encadrer de jeunes chefs de chantier, tout en organisant des ateliers de partage d’expérience.
Renforcement du capital confiance
En affichant une politique d’embauche de seniors, une PME ou ETI se place en acteur responsable et renforce son image auprès des clients, partenaires financiers et institutions. Dans le cadre des démarches RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises), le CVE peut être intégré aux indicateurs sociaux et ESG.
Communication proactive
Le succès du CVE dépendra de la communication externe et interne. Présenter l’embauche d’un senior via un CVE comme une valeur ajoutée (expertise, accompagnement, transmission) plutôt que comme un simple outil de flexibilité contractuelle permet de transformer un risque réputationnel en opportunité marketing RH.
Conditions de mise en œuvre en entreprise
Pour que le CVE soit un atout et non un risque, sa mise en œuvre doit être rigoureuse et conforme aux obligations légales.
Vérification de l’éligibilité
Avant toute signature, l’employeur doit s’assurer :
- que le candidat est bien inscrit à France Travail,
- qu’il a 60 ans ou plus (ou 57 ans si un accord de branche le prévoit),
- qu’il n’a pas occupé un CDI dans la même entreprise ou groupe au cours des six derniers mois.
Documentation CNAV obligatoire
L’employeur doit obtenir un document officiel de la CNAV (Caisse Nationale d’Assurance Vieillesse) précisant la date prévisionnelle de départ à taux plein. Ce document doit être annexé au contrat pour éviter tout litige ultérieur.
Traçabilité dans la DSN
Dès janvier 2026, chaque CVE devra être identifié dans la Déclaration Sociale Nominative (DSN) via le code 83. L’omission de cette déclaration expose l’employeur à des sanctions administratives et à un redressement URSSAF.
Gestion de la mise à la retraite
Au moment où le salarié atteint le taux plein, l’employeur peut enclencher la mise à la retraite d’office. Toutefois, pour préserver le climat social, il est conseillé de prévoir un entretien préparatoire et de communiquer en amont avec le salarié concerné.
Prévoir le suivi financier
Les exonérations liées au CVE sont conditionnées au respect strict des règles. En cas de rupture anticipée du contrat (par démission, licenciement ou litige), l’employeur peut être tenu de rembourser une partie des exonérations. Il est donc indispensable de suivre régulièrement la situation du salarié et les échéances légales.
Intégration RH et managériale
Enfin, recruter un senior via un CVE ne doit pas être perçu comme une simple opération administrative. L’entreprise doit préparer son intégration :
- mise en place d’un programme de mentorat,
- adaptation des conditions de travail si nécessaire (horaires aménagés, télétravail partiel),
- valorisation publique de cette embauche dans la communication interne et externe.
Bonnes pratiques RH à adopter
La réussite de la mise en place d’un CVE dans une PME ou une ETI repose autant sur la conformité administrative que sur la qualité de la gestion humaine. Voici les pratiques essentielles à adopter pour maximiser les bénéfices et limiter les risques.
Élaborer une politique interne claire
Le CVE doit s’intégrer dans une stratégie RH globale, et non être utilisé comme un dispositif isolé. Les PME/ETI ont intérêt à rédiger une charte interne sur l’emploi des seniors, précisant :
- les critères d’éligibilité,
- les objectifs poursuivis (transmission des savoirs, équilibre intergénérationnel, inclusion),
- les modalités de communication interne et externe.
Cette formalisation contribue à instaurer un climat de confiance et à éviter toute suspicion de discrimination.
Préparer les managers et l’équipe RH
Les managers jouent un rôle clé dans la réussite d’un CVE. Ils doivent être formés pour :
- accompagner l’intégration du salarié senior,
- valoriser son rôle de mentor auprès des plus jeunes,
- anticiper la mise à la retraite d’office pour éviter un effet de surprise.
Un plan de formation interne peut être mis en place, axé sur la gestion des équipes intergénérationnelles et la prévention des tensions.
Miser sur la communication positive
L’un des principaux risques du CVE est la mauvaise perception. Pour le contrer, l’entreprise doit contrôler son storytelling RH.
En externe, il est recommandé de communiquer sur :
- la valorisation de l’expérience du salarié,
- la transmission des savoirs,
- la contribution à une politique inclusive.
En interne, les messages doivent mettre en avant le rôle de soutien et de mentorat du senior, en évitant d’insister sur la mise à la retraite anticipée.
Mettre en place un mentorat structuré
L’embauche d’un senior doit être pensée comme un investissement en capital humain. En l’intégrant dans un programme de mentorat ou de tutorat, la PME/ETI maximise son impact.
Exemple : une ETI technologique peut recruter un ingénieur senior en CVE, lui confier un projet pilote, et organiser des ateliers de transfert de compétences pour ses jeunes recrues.
Suivre les indicateurs clés
Il est essentiel de mesurer l’impact du CVE. Un tableau de bord RH peut suivre :
- le nombre de seniors recrutés,
- les économies réalisées grâce aux exonérations,
- le taux de satisfaction interne,
- l’impact sur la marque employeur (via sondages ou indicateurs de recrutement).
Perspectives et recommandations stratégiques
Le CVE n’est pas seulement un outil RH : c’est un levier stratégique pour les PME et ETI dans les années à venir.
Un dispositif encore en test
Jusqu’en 2030, le CVE est mis en œuvre à titre expérimental. Un premier bilan sera dressé fin 2026 pour mesurer son efficacité. Les entreprises qui l’auront adopté dès 2025 bénéficieront d’une expérience pionnière et pourront ajuster leur stratégie en fonction des résultats de l’évaluation nationale.
Anticiper l’évolution législative
Les exonérations chômage prévues à partir de 2027 dépendent d’un accord unanime des partenaires sociaux. Les PME/ETI doivent donc suivre de près les évolutions réglementaires, afin de calculer le coût réel et les économies attendues.
Intégrer le CVE dans la stratégie RSE
Dans le cadre des obligations croissantes en matière d’ESG (Environnement, Social, Gouvernance), le CVE peut être un argument fort :
- il renforce l’axe Social en valorisant l’emploi des seniors,
- il démontre l’engagement de l’entreprise dans la diversité et l’inclusion,
- il permet de répondre aux attentes des investisseurs et partenaires sensibles aux indicateurs sociaux.
Gérer l’image employeur avec tact
Pour transformer un risque réputationnel en opportunité, la communication autour du CVE doit être équilibrée. Il ne s’agit pas d’un dispositif « pour se débarrasser des seniors », mais bien d’un outil pour leur offrir un emploi stable et valorisant jusqu’à leur départ à la retraite.
Un bon exemple de communication serait :
« Nous accueillons des talents expérimentés grâce au Contrat de Valorisation de l’Expérience. Ils transmettent leurs savoirs, accompagnent nos équipes et contribuent à la réussite collective. »
Créer des partenariats
Les PME/ETI peuvent s’appuyer sur :
- France Travail pour identifier les candidats éligibles,
- les organismes de formation pour renforcer le volet transmission,
- les experts-comptables et conseils RH pour sécuriser la mise en œuvre administrative et juridique.
Nos recommandations
IG Conseils recommande aux PME/ETI d’intégrer le CVE dans une démarche globale de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC). Ce contrat ne doit pas être perçu comme un simple outil financier, mais comme un investissement stratégique : il permet de renforcer les effectifs, d’optimiser les coûts sociaux, et de construire une marque employeur forte et inclusive.
Le Contrat de Valorisation de l’Expérience (CVE) constitue une innovation majeure dans la politique de l’emploi en France. Pour les PME et ETI, il représente à la fois un outil de compétitivité et un vecteur d’image responsable.
Bien mis en œuvre, il permet de conjuguer trois atouts : l’expertise des seniors, la transmission des savoirs, et l’optimisation des coûts sociaux.
Mais son succès dépendra de la capacité des entreprises à communiquer positivement, à intégrer les seniors dans des projets structurants et à anticiper les contraintes réglementaires.
Les PME et ETI qui sauront saisir cette opportunité dès 2025 auront une longueur d’avance, tant sur le plan RH que sur leur positionnement RSE et leur attractivité employeur.
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