Monétisation des jours de RTT : Mode d’emploi pour les entreprises et les salariés

La réduction du temps de travail (RTT) fait partie intégrante de la gestion du temps de travail en France depuis plus de deux décennies. Mais la loi de finances rectificative du 16 août 2022 a profondément modifié le paysage, en ouvrant la possibilité pour les salariés de monétiser leurs jours de RTT non pris, et ce jusqu’à la fin de l’année 2025.

Cette réforme, pensée dans un contexte d’inflation et de tension sur le pouvoir d’achat, offre de nouveaux leviers de flexibilité aux entreprises et de revenus aux salariés. IG-Conseils vous propose un tour d’horizon exhaustif du dispositif, de ses conditions à ses avantages, en passant par ses limites pratiques et ses enjeux stratégiques.

Comprendre les RTT : Origines, fonctionnement et enjeux

Qu’est-ce que la RTT ?

La réduction du temps de travail (RTT) est un mécanisme mis en place pour compenser le temps de travail effectué au-delà des 35 heures hebdomadaires légales, sans pour autant rémunérer ces heures comme des heures supplémentaires. Concrètement, les salariés concernés bénéficient de journées ou demi-journées de repos supplémentaires, dont le nombre est fixé par accord collectif ou convention d’entreprise.

Les RTT s’adressent principalement :

  • Aux salariés dont le temps de travail effectif est compris entre 35 et 39 heures par semaine.
  • Aux salariés relevant d’un accord collectif instituant un dispositif de RTT.

Pourquoi la RTT ?

L’objectif de la RTT était double à l’origine :

  • Répartir le travail pour favoriser l’emploi.
  • Offrir une meilleure qualité de vie aux salariés en leur accordant plus de temps libre.

Mais dans la pratique, la gestion des jours de RTT est devenue un enjeu de flexibilité pour les entreprises et un levier de pouvoir d’achat pour les salariés.

Le dispositif temporaire de monétisation des jours de RTT

Origine et philosophie du dispositif

Face à l’inflation et à la nécessité de soutenir le pouvoir d’achat, la loi n° 2022-1157 du 16 août 2022 de finances rectificative a instauré un dispositif exceptionnel : la possibilité pour les salariés de demander le rachat de leurs jours de RTT acquis entre le 1er janvier 2022 et le 31 décembre 2025.

Ce mécanisme vise à :

  • Offrir une source de revenus supplémentaires aux salariés.
  • Permettre aux entreprises d’ajuster leur organisation en fonction de l’activité.

Qui est concerné ?

Le dispositif s’adresse :

  • À tous les salariés du secteur privé bénéficiant de jours de RTT issus d’un accord collectif ou d’une convention d’entreprise.
  • Aux salariés ayant acquis des jours de repos conventionnels dans le cadre d’un aménagement du temps de travail sur une période supérieure à la semaine.

Ne sont pas concernés :

  • Les salariés en forfait jours (qui disposent déjà d’un dispositif spécifique de rachat de jours de repos).
  • Les jours déposés sur un Compte Épargne Temps (CET).
  • Les jours de repos compensateur équivalent (liés aux heures supplémentaires).
  • Les jours de repos soldés de tout compte.

Modalités de mise en œuvre

  • Initiative du salarié : Le salarié doit formuler une demande de monétisation auprès de son employeur.
  • Accord de l’employeur : L’employeur est libre d’accepter ou de refuser la demande. En pratique, les refus sont rares, car le dispositif bénéficie à la fois à l’entreprise et au salarié.
  • Période concernée : Les jours de RTT monétisables sont ceux acquis entre le 1er janvier 2022 et le 31 décembre 2025.
  • Pas de plafond de jours : La loi ne fixe pas de limite maximale de jours pouvant être monétisés. Un salarié peut donc, en théorie, demander la monétisation de la totalité de ses jours de RTT sur la période concernée.

Rémunération et régime fiscal/social du rachat de RTT

Rémunération des jours rachetés

  • Majoration obligatoire : Les jours de RTT rachetés sont payés avec une majoration d’au moins 10 % (taux minimal de la première heure supplémentaire), pouvant aller jusqu’à 25 % en l’absence d’accord collectif spécifique.
  • Salaire majoré : Le salarié perçoit donc un salaire supérieur pour les jours rachetés, ce qui constitue un gain net par rapport à une simple prise de repos.

Régime fiscal et social avantageux

  • Exonération d’impôt sur le revenu : Les sommes perçues au titre du rachat de RTT sont exonérées d’impôt sur le revenu dans la limite de 7 500 € par an (plafond commun avec les heures supplémentaires).
  • Exonération de cotisations sociales : Ces sommes bénéficient du même régime que les heures supplémentaires : exonération de cotisations salariales d’assurance vieillesse et déduction forfaitaire des cotisations patronales, selon la taille de l’entreprise.
  • Soumission à la CSG/CRDS : Les montants restent soumis à la CSG et à la CRDS, et sont intégrés dans le revenu fiscal de référence.

Illustration chiffrée

Prenons l’exemple d’un salarié effectuant 39 heures par semaine et bénéficiant de 20 jours de RTT par an. S’il décide de monétiser 5 jours de RTT, il percevra pour ces jours une rémunération majorée (par exemple +25 %), exonérée d’impôt sur le revenu et de certaines cotisations sociales, dans la limite du plafond annuel.

Procédure et formalités pratiques

Démarche du salarié

  • Le salarié adresse une demande écrite à son employeur, précisant le nombre de jours de RTT qu’il souhaite monétiser.
  • Il est recommandé de conserver une trace écrite de la demande et de la réponse de l’employeur.

Réponse de l’employeur

  • L’employeur dispose d’un délai raisonnable pour accepter ou refuser la demande.
  • En cas d’accord, les jours de RTT concernés sont supprimés du compteur du salarié et payés sur la paie du mois concerné, avec la majoration prévue.

Conseil pratique

Pour éviter tout litige, il est conseillé de formaliser l’accord par écrit (courriel, avenant au contrat, note de service, etc.).

Limites et exclusions du dispositif

Salariés non concernés

  • Forfait jours : Les salariés au forfait jours ne peuvent pas bénéficier de ce dispositif, car ils disposent déjà de la possibilité de renoncer à une partie de leurs jours de repos contre une majoration de salaire spécifique.
  • CET et autres jours spécifiques : Les jours déposés sur un Compte Épargne Temps, les jours de repos compensateur ou soldés de tout compte ne sont pas concernés.

Cas particuliers

  • Accords collectifs antérieurs à 2008 : Les jours de repos acquis dans le cadre d’accords collectifs antérieurs à la loi du 20 août 2008 sont également éligibles à la monétisation, sous réserve qu’ils soient maintenus en vigueur.
  • Plafond global : Le plafond d’exonération de 7 500 € par an inclut à la fois les heures supplémentaires et les jours de RTT monétisés. Au-delà, les sommes redeviennent imposables et soumises aux cotisations sociales classiques.

Conséquences pour l’entreprise et le salarié

Pour l’entreprise

  • Souplesse organisationnelle : Le dispositif permet d’ajuster rapidement la main d’œuvre disponible en cas de pic d’activité.
  • Coût maîtrisé : Les exonérations sociales et fiscales limitent le surcoût pour l’entreprise.
  • Dialogue social : Il est recommandé d’informer et de former les représentants du personnel sur le dispositif pour éviter les incompréhensions et favoriser une bonne communication

Pour le salarié

  • Pouvoir d’achat renforcé : La monétisation des RTT offre une source de revenus nette supplémentaire, sans impact sur la fiscalité (dans la limite du plafond).
  • Flexibilité : Le salarié peut choisir entre temps libre et rémunération, selon ses besoins du moment.
  • Attention à l’équilibre vie pro/perso : Multiplier les rachats de RTT peut réduire le temps de repos effectif, au risque d’une fatigue accrue. Il convient de rester vigilant sur l’équilibre vie professionnelle/vie personnelle.

Points de vigilance et recommandations

Conseils aux employeurs

  • Anticiper la demande : En période de forte activité ou de tension sur les effectifs, la monétisation des RTT peut être un levier efficace, mais il convient d’anticiper l’impact sur l’organisation du travail.
  • Équité de traitement : Veiller à traiter les demandes de manière équitable pour éviter tout sentiment d’injustice ou de discrimination.
  • Communication interne : Informer clairement les salariés sur les modalités, les avantages et les limites du dispositif.

Conseils aux salariés

  • Bien évaluer ses besoins : Avant de demander la monétisation, il est important de mesurer l’impact sur son temps de repos et son équilibre personnel.
  • Vérifier le plafond : S’assurer de ne pas dépasser le plafond annuel d’exonération pour optimiser le gain net.
  • Formaliser la demande : Toujours effectuer la demande par écrit et conserver la réponse de l’employeur.

Questions fréquentes

Peut-on monétiser tous ses jours de RTT ?

La loi ne fixe pas de plafond de jours, mais l’accord de l’employeur reste nécessaire. En pratique, il est possible de demander la monétisation de tous les jours acquis sur la période concernée.

Que se passe-t-il si je dépasse le plafond de 7 500 € ?

La partie excédant le plafond devient imposable et soumise aux cotisations sociales classiques.

Les jours de RTT monétisés comptent-ils comme des heures supplémentaires ?

Non, les jours de RTT rachetés ne s’imputent pas sur le contingent d’heures supplémentaires de l’entreprise.

Puis-je cumuler la monétisation des RTT avec le dépôt sur un CET ?

Non, les jours déjà déposés sur un Compte Épargne Temps ne peuvent pas être monétisés dans le cadre de ce dispositif.

Témoignages d’entreprises

De nombreux employeurs saluent la souplesse offerte par le dispositif, notamment dans les secteurs soumis à des variations saisonnières ou conjoncturelles. Selon Sandrine Delessard, juriste en droit du travail, « les employeurs s’opposent rarement à la monétisation des RTT. Si cela peut avoir un effet favorable sur le pouvoir d’achat des salariés, il est encore tôt pour se prononcer sur le dispositif, qui en est un parmi d’autres ».

Retours de salariés

Les salariés apprécient la possibilité d’augmenter ponctuellement leur rémunération sans alourdir leur fiscalité. Cependant, certains témoignent de la difficulté à arbitrer entre temps libre et gain financier, surtout dans les entreprises où la charge de travail reste élevée.

Synthèse et perspectives

Le dispositif de monétisation des jours de RTT, instauré par la loi de finances rectificative du 16 août 2022, constitue une avancée majeure pour la gestion du temps de travail en France. Il offre à la fois une réponse concrète à la problématique du pouvoir d’achat et un outil de flexibilité pour les entreprises.

Pour en tirer le meilleur parti, il est essentiel de bien en comprendre les contours, de respecter les procédures, et de veiller à l’équilibre entre performance économique et bien-être des salariés. La période 2022-2025 offre un terrain d’expérimentation inédit : il appartient à chaque entreprise et à chaque salarié d’en faire un levier au service de leurs intérêts respectifs.

Pour aller plus loin :

  • Consultez les textes officiels sur Légifrance (loi n° 2022-1157 du 16 août 2022)
  • Formez vos équipes RH et vos représentants du personnel pour une gestion optimale des demandes de monétisation.

En conclusion, la monétisation des jours de RTT s’impose comme un outil moderne, souple et avantageux, à condition d’en maîtriser les règles et d’en mesurer les enjeux humains et organisationnels.